Créance provisionnelle ou éventuelle

Quelques points de la définition

Généralités

Le cas général des créances déclarées: des créances dont le montant est connu et qui sont exigibles

Le cas particulier des créances fiscales et sociales non déterminées au jour du jugement d'ouverture

Le cas particulier des autres créances éventuelles dont le montant n'est pas connu au jour du jugement d'ouverture ni dans le délai de déclaration de créance

les délais de déclaration de créance applicables

terminologie à employer dans la déclaration de créance

montant à indiquer dans la déclaration de créance

Traitement au stade de l'admission de la créance

Généralités

Voir aussi le mot déclaration de créance

On peut distinguer trois cas:

Le cas général des créances déclarées : des créances dont le montant est connu et qui sont exigibles

C’est l’article L622-24 du code de commerce qui organise les modalités de la déclaration de créance.

Le cas le plus commun est celui dans lequel au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective, le créancier est titulaire d’une créance déterminée exactement (par exemple une facture impayée), échue (c’est-à-dire qui aurait dû être payée avant la date du jugement)

Mais bien d’autres cas se présentent.

Le cas particulier des créances fiscales et sociales non encore déterminées au jour du jugement d’ouverture de la procédure

Les textes organisent spécifiquement le cas des créances fiscales et sociales dont le montant exact n’est pas exactement arrêté, pour la raison que leur établissement est suspendu à l’établissement de déclarations à établir par le débiteur, suivant un calendrier légal ou règlementaire qui se déroule au-delà du jugement. Pour cette question ( voir le mot créances provisionnelles fiscales et sociales)

Le cas particulier des autres créances éventuelles ou dont le montant n’est pas connu au jour du jugement d'ouverture de la procédure collective et à l'intérieur du délai imparti pour déclarer créance

Au stade de la déclaration de créance : une créance « estimée », « éventuelle », « prévisionnelle »

Au-delà du cas particilier des créances fiscales et sociales, le cas des autres créances éventuelles ou dont le montant n'est pas connu est rendu complexe par le fait

  • d’une part que c’est le fait générateur de la créance qui va déterminer si elle doit ou pas être déclarée au passif, c’est-à-dire si elle a ou pas le statut de créance antérieure au jugement.

    La créance est révélée après le jugement, mais son fait générateur antérieur lui donne rétroactivement le statut de créance antérieure.

    Ainsi pour être plus précis, toute créance qui découlera de l’exécution ou de la mauvaise exécution d’un contrat aura un statut de créance antérieure si le contrat lui-même est antérieur

  • d’autre part que les délais de déclaration de créance sont courts (même si l’article L622-26 du code de commerce aménage le délai de 6 mois de demande de relevé de forclusion en précisant que « par exception, si le créancier justifie avoir été placé dans l'impossibilité de connaître l'obligation du débiteur avant l'expiration du délai de six mois, le délai court à compter de la date à laquelle il est établi qu'il ne pouvait ignorer l'existence de sa créance »

Ainsi, un créancier qui imagine possible d’avoir une créance à faire valoir sera prudent d’effectuer dans le délai légal une déclaration de cette créance « éventuelle » et dont parfois, par hypothèse il ne connait même pas le montant : il devra dont, dans ce cas indiquer un montant estimé (voir le montant)

Quelques exemples

  • le client qui fait réparer un véhicule avant le jugement d’ouverture de la procédure, mais qui découvre après le jugement que la réparation est mal faite et lui occasionne un dommage, est titulaire d’une créance dite antérieure au jugement, alors même qu’il n’en imaginait pas l’existence (Cass civ 3ème 23 mai 2007 n°06-14988 pour un vice caché sur un bâtiment). D'ailleurs d'une manière générale les titulaires de garantie devraient déclarer créance, ce qui est fondamental pour la garantie d'achèvement (Cass com 30 juin 2004 n°02-15574)

  • Il en sera de même du client qui fait construire sa maison dans laquelle, après le jugement, apparaissent des malfaçons (Cass com 4 janvier 2005 n°03-15444 qui refuse la compensation entre les travaux à payer et les malfaçons pour lesquelles aucune déclaration de créance n'a été effectuée)

  • Le bénéficiaire d'une promesse de vente qui précise qu'en cas de levée d'option les fermages déjà payés s'imputeront sur le prix, est titulaire d'une créance éventuelle, pour le cas où il lève l'option, qui sera à compenser avec le prix et doit donc être déclarée et admise au passif Cass com 9 octobre 2019 n°18-18818

  • Un défaut de conformité, « la créance de l'acquéreur née du défaut de conformité de la chose vendue ayant son origine au jour de la conclusion de la vente, de sorte que, si celle-ci est intervenue avant le jugement d'ouverture de la procédure collective du vendeur, l'acquéreur doit la déclarer au passif de la procédure collective » Cass com 2 octobre 2012 n°10-25633, Cass com 11 juillet 2006 n°05-13604)

  • Le syndicat de copropriétaire est fondé à déclarer créance au passif du syndic, au titre des sommes non restituées, même si par ailleurs il est susceptible d'être indemnisé par la garantie financière Cass com 17 avril 2019 n°18-11766

  • la Cour de Cassation considère que les « frais supplémentaires de pilotage, de consultation et de maîtrise d'oeuvre, des travaux de reprise de malfaçons et non-façons et des dépassements de budget » ont bien un statut de créance antérieure Cass com 30 juin 2004 n°03-12705.

    Cette appréciation repose exclusivement sur la date du contrat et ni de l’apparition des malfaçons éventuelles, ni même sur la date des travaux qui ont causé ces malfaçons : dès lors que le contrat est antérieur au jugement d’ouverture de la procédure collective, toutes ces créances auront un statut de créance antérieure devant être déclarée au passif dans les formes et délais des créances antérieures.

On pourrait discuter de cette solution si les malfaçons sont exclusivement causés par une poursuite d’activité mal assumée par le débiteur et des travaux effectuées postérieurement au jugement d’ouverture, et d’ailleurs certains arrêts de la Cour de cassation y font référence (Cass com 18 janvier 2005 n°03-12849 Cass com 13 février 2007 n°05-20778 Cass com 3 novembre 2009 n°06-21881) ce qui pourrait alors donner à ces créances un statut de créance postérieure « non utile » avec un délais de déclaration de créance dans les deux mois de leur exigibilité, mais c’est semble-t-il prendre un risque inutile en raison de l’aléa judiciaire sur cette question.

Ainsi il est absolument nécessaire d’effectuer une déclaration de créance antérieure largement dimensionnée qui préviendra tous les aléas, et toutes les conséquences de la mauvaise ou de l’inexécution du contrat qui pourront être génératrices de créance.

On peut préciser ici que seules les indemnités de résiliation consécutives à une résiliation du contrat après une poursuite dans le cadre de la sauvegarde ou du redressement judiciaire, bien que traitées en rang de créance antérieure (pour les mêmes raisons, c’est-à-dire en raison du fait générateur qui est le contrat), ont cependant un statut particulier et un délai de déclaration spécifique de déclaration de créance (un mois de la résiliation voit le mot résiliation), mais peuvent évidemment, elles aussi, être déclarées à titre de créance éventuelle, dès l’ouverture de la procédure.

  • une créance sous condition, incertaine, au titre d’une garantie (par exemple garantie des vices cachés Cass com 18 février 2003 n°00-13257, garantie d’achèvement Cass com 30 juin 2004 n°02-15574, garantie de passif Cass com 1er avril 2003 n°00-11645, caution de la garantie d'achèvement Cass com 12 octobre 2004 n°03-13855), encours de cession Dailly, doivent être déclarées selon le dispositif applicable aux créances antérieures au jugement d’ouverture de la procédure collective (la question ne se pose évidemment pas pour le créancier qui a plusieurs débiteurs et/ou des cautions solidaires, pour lesquelles la dette n’est alors pas éventuelle, et est déclarée au passif de chacun dans les conditions de droit commun, pour un montant connu au jour du jugement). Concernant plus précisément une créance qui va dépendre d'une condition suspensive ou résolutoire future, elle doit évidemment être déclarée au passif, et son admission sera suspendue au sort de la condition.

La déclaration de créance sera d’autant plus importante si le créancier « éventuel » entend opposer la compensation avec les sommes dues à son débiteur (Cass com 8 juillet 2003 n°00-17359)

Les délais de déclaration de créance applicables

Comme déjà indiqué, la déclaration de créance doit être effectuée dans le délai de droit commun applicable aux créances antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective, soit deux mois de l'insertion au BODACC de ce jugement (article R622-24 du code de commerce)

Voir le mot déclaration de créance

Si le délai n'est pas respecté, le créancier devra solliciter un relevé de forclusion. A ce sujet, l’article L622-26 du code de commerce aménage le délai de 6 mois imparti aux créanciers pour présenter une demande de relevé de forclusion en précisant que « par exception, si le créancier justifie avoir été placé dans l'impossibilité de connaître l'obligation du débiteur avant l'expiration du délai de six mois, le délai court à compter de la date à laquelle il est établi qu'il ne pouvait ignorer l'existence de sa créance ». Ainsi le délai est considérablement assoupli dans la plupart des cas de créances dont le principe n'est pas conns au jour du jugement d'ouverture de la procédure.

Cependant il s'agit ici plus du créancier qui ne pouvait imaginer au jour du jugement qu'il aurait une créance à faire valoir que de celui qui savait d'ores et déjà qu'il avait une créance à faire valoir mais dont il ignorait le montant

En outre un relevé de forclusion tardif ne remettra pas en cause les répartitions éventuellement effectuées par le liquidateur en cas de liquidation. En effet l'article L622-26 du code de commerce précise que les créanciers qui sont relevés de leur forclusion "ne peuvent alors concourir que pour les distributions postérieures à leur demande.". Ainsi plus le relevé de forclusion sera tardif, plus les chances de répartition s'amenuisent, et il est bien plus préférable de déclarer dès l'origine une créance encore "hypothétique"

Dans la rédaction de cette déclaration de créance, la terminologie à employer : créance « éventuelle » ou « sur la base d’une estimation », ou encore « prévisionnelle »

Il est préférable de ne pas avoir recours au terme indicatif (Cass com 12 février 1991 n°89-19698) pour caractériser le montant déclaré.

Suivant les cas les termes « éventuelle » ou « sur la base d’une estimation conformément à l’article L622-24 du code de commerce » ou encore « prévisionnel » est plus approprié, mais le terme « provisionnel » est malgré tout d’utilisation plus fréquente, alors même qu’il est impropre et devrait être évité.

En effet au stade de la déclaration de créance son utilisation est dangereuse, la Cour de Cassation semblant vouloir le réserver aux  créanciers fiscaux et sociaux (Cass com 15 février 2000 n°97-14406 et Cass com 7 avril 2004 n°01-17601 même espèce).  

Cependant il faut précise que la Cour de Cassation est assez indulgente pour les créanciers sur l’emploi d’un terme inapproprié, et admet que le juge recherche la réelle intention du créancier, et une déclaration improprement faite à titre « provisionnel » devra être considérée comme « définitive » si c’est ce que révèle la volonté exprimée par le créancier (Cass com 28 juin 2005 n°04-14578)

Plus précisément, la Cour de Cassation précise bien que le terme « provisionnel » pour déclarer en réalité une créance « sur la base d’une évaluation » peut constituer un abus de langage dont le créancier ne doit pas pâtir.

Ainsi est cassé un arrêt qui avait jugé que le créancier « ne saurait prétendre avoir commis un innocent abus de langage en déclarant expressément une créance provisionnelle, tandis qu'il avait la faculté de déclarer sa créance sur la base d'une évaluation s'il ne disposait pas de tous les éléments propres à lui permettre de la liquider avec certitude, » et retenu que « si une créance, dont le montant n'est pas encore fixé, doit être déclarée sur la base d'une évaluation effectuée au moment de la déclaration, cette possibilité est distincte d'une déclaration faite à titre provisionnel et que dès lors, les expressions n'étant pas équivalentes, l'une ne peut être d'autorité substituée à l'autre par interprétation de la volonté du créancier déclarant » ;

La motivation est là encore la suivante « Attendu qu'en se déterminant par de tels motifs, sans rechercher si la déclaration de créance, même à titre provisionnel, ne révélait pas la volonté non équivoque du créancier de réclamer à titre définitif la somme indiquée … » Cass com 30 novembre 2010 n°09-69257.

Voir également

  • Cass com 7 mars 2006 n°04-19078 à propos d’une déclaration de créance faite à titre provisionnel indiquant « qu'une déclaration définitive serait transmise dès que possible afin de faire constater les droits du déclarant dans le cadre de la présente procédure collective, ce dont il résultait que cet organisme reconnaissait ignorer le montant exact de sa créance »

    Cass com 6 juillet 2010 n°09-68474 « qu'une créance, dont le montant n'est pas encore fixé, doit être déclarée sur la base d'une évaluation effectuée au moment de la déclaration, ce qui est distinct d'une déclaration faite à titre provisoire et qu'en dehors des cas limitativement prévus par la loi, aucune créance ne peut être déclarée à titre provisionnel ou sous réserve ou pour un montant à parfaire" ;

  • Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si la déclaration de créance, faite même à titre provisoire sauf à parfaire, ne révélait pas la volonté non équivoque de M. Y... de réclamer à titre définitif la somme déclarée, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision »

  • Cass com 26 septembre 2006 n°05-16942 « qu'il importe peu que cette déclaration ait été faite "à titre provisionnel" alors que ce terme aurait dû être remplacé par l'expression "à titre prévisionnel" ou par toute autre expression signifiant qu'il s'agit d'une évaluation »

L’article L622-24 du code de commerce prévoit en effet ces cas en indiquant à propos des créances que « Celles dont le montant n'est pas encore définitivement fixé sont déclarées sur la base d'une évaluation »

Le montant à indiquer dans la déclaration de créance

C'est le cas qui est le plus complexe dès lors que, nonobstant l'imprécision du montant, ces créances doivent être déclarées au passif dans le délai légal (Cass com 21 janvier 2003 n°00-12372 pour une créance dite en germe résultant d'une décision de justice intervenue postérieurement à l'ouverture de la procédure collective)

L'indication d'un montant est absolument nécessaire, et l'article L622-24 du code de commerce dispose d'ailleurs que les créances "dont le montant n'est pas encore définitivement fixé sont déclarées sur la base d'une évaluation"

La "créance dont le montant n'est pas encore fixé doit être déclarée sur la base d'une évaluation effectuée dans le délai légal de la déclaration" Cass com 14 janvier 2004 n°02-17172

L’évaluation ainsi mentionnée dans la déclaration de créance pourra par la suite être réduite, s’il advient qu’en réalité la créance est inférieure à ce qui avait été imaginé, mais ne pourra pas être augmentée (même sous couvert d’une première déclaration dite provisionnelle Cass com 15 février 2000 n°97-14406, Cass com 7 avril 2004 n°01-17601 même espèce, Cass com 3 novembre 2010 n°09-72029): la combinaison de ces observations conduit à un effet pervers d’amener les créanciers à déclarer des créances éventuelles élevées, pour parer à toute éventualité.

Les termes "sous réserve de toute autre créance", un euro à parfaire" ou "pour mémoire" sont absolument à proscrire, puisqu'aucune somme ne pourra leur être par la suite substituée, sauf évidemment le cas où, nonobstant une telle mention, le corps de la déclaration de créance permet en réalité d'appréhender la réelle volonté du créancier de réclamer une somme précise (Cass com 19 mai 2004 n°01-11572)

Voir également le mot intérets.

Au stade de l’admission de la créance

Une créance dont le montant est simplement estimé, ou dont l’existence n’est qu’éventuelle, ne peut évidemment pas participer aux répartitions (en liquidation) ou aux dividendes du plan (en cas de redressement ou de sauvegarde) tant que leur principe ne sera pas conforté, ni leur montant final connu.

Ainsi, dans le cadre de la vérification des créances et de leur admission:

  • soit avant que le juge statue sur l’admission de la créance, les parties sont en mesure de lui indiquer dans quelles conditions la créance est finalement établie - par exemple en suite du dépot d'un rapport d'expertise - (et évidemment la rectification ou la confirmation de la créance ne sera pas une déclaration de créance complémentaire, qui serait soumise aux délais de déclaration), et elle sera admise sans réserve,

  • soit il est prudent que le juge prenne une décision de sursis à statuer dans l’attente que la créance soit définitivement révélée ou arrêtée (ou prescrite par exemple pour une action en garantie des vices cachés).

  • soit, si le principe de créance est certain, mais le chiffrage à déterminer, le juge peut se déclarer incompétent et sursoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir (Cass com 2 novembre 2016 n°15-13273 pour des malfaçons)

Cela a l’inconvénient de bloquer les répartitions en liquidation, et aura pour effet en cas de plan de suspendre les dividendes de ce créancier sans pour autant différer l’exécution du plan pour les autres créanciers, mais l’avantage de ne pas fausser la situation du débiteur avec des créances « incertaines ».

En tout état :

  • les textes n'impartissent « aucun délai au déclarant pour confirmer son évaluation ou pour la réduire » Cass com 27 mai 2003 n°00-17716 et l’admission de la créance ne peut que prendre en considération la situation au jour où le juge statue.

  • S’il advenait que le juge commissaire admette la créance en portant une mention « provisionnel », cette mention serait dépourvue d’effet juridique puisque l’admission ne peut porter que sur une créance qui a vocation à être traitée comme une créance définitive et purgée de toute contestation Cass com 3 octobre 2006 n°05-11340 le créancier « n'est ni un organisme de sécurité sociale, ni un organisme visé à l'article L. 351-21 du code du travail, ne relevait pas des dispositions de l'article L. 621-43, alinéa 3, du code de commerce » et sa créance « ne pouvait se trouver atteinte par la forclusion qu'il édicte, dès lors qu'en dépit de la mention de son admission à titre provisionnel sur l'état des créances, dépourvue de portée juridique au regard de ce texte, aucune obligation d'établir sa créance de manière définitive ne pesait sur ce créancier »