Compte bancaire et procédure collective

Déclaration de créance

La déclaration de la créance de la banque au titre du compte courant pose plusieurs problèmes au regard de la technique bancaire et du droit cambiaire.

En effet, il n'est pas aussi simple d'indiquer que la banque déclare au passif le découvert au jour du jugement ou plus exactement le jour du jugement à zéro heure. Cass com 5 novembre 2003 n°00-20122 Cass com 8 décembre 1987 n°87-11501

En effet, ce montant "provisoire" (c'est le terme employé par a jurisprudence) est susceptible d'évoluer en fonction de plusieurs paramètres:

- la liquidation des opérations en cours (mais en réalité la présentation au paiement d'un chèque ne peut influer sur une créance de la banque dès lors que la provision n'est transférée que si elle existe, ce qui fait que la banque refusera le paiement si le compte n'est pas approvisionné. Pour autant il peut se présenter qu'une remise en compte s'avère impayée, ce qui peut aggraver ou constituer le découvert, et impose au banquier d'être prudent dans sa déclaration de créance sur le fondement d'un solde provisoire, qui ne pourra être augmenté) 

- la compensation: comme nous le verrons, la jurisprudence est hostile à la compensation entre la créance antérieure de la banque et une remise postérieure, y compris dans une hypothèse de poursuite du compte (même sous couvert de l'ouverture d'un compte dit "redressement judiciaire") et en tout état la compensation suppose la déclaration de créance.

- les dates de valeur

- et la contre-passation d'effet de commerce.

Les dates de valeur

L'article L133-13 du code monétaire et financier enseigne que 

I. – Le montant de l'opération de paiement est crédité sur le compte du prestataire de services de paiement du bénéficiaire au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant le moment de réception de l'ordre de paiement tel que défini à l'article L. 133-9. Ce délai peut être prolongé d'un jour ouvrable supplémentaire pour les opérations de paiement ordonnées sur support papier.

II. – Le prestataire de services de paiement du bénéficiaire transmet un ordre de paiement donné par le bénéficiaire, ou par le payeur qui donne un ordre de paiement par l'intermédiaire du bénéficiaire, au prestataire de services de paiement du payeur dans les délais convenus entre le bénéficiaire et son prestataire de services de paiement. Ces délais doivent permettre le règlement des prélèvements à la date convenue.

Spécifiquement sur les dates de valeur l'article L133-14 précise 

I. – La date de valeur d'une somme portée au crédit du compte du bénéficiaire ne peut être postérieure à celle du jour ouvrable au cours duquel le montant de l'opération de paiement est crédité sur le compte du prestataire de services de paiement du bénéficiaire.

Le prestataire de services de paiement du bénéficiaire met le montant de l'opération à disposition du bénéficiaire immédiatement après que son propre compte a été crédité, y compris pour les opérations de paiement qui se déroulent au sein d'un seul et même prestataire de services de paiement, lorsque, pour sa part :

a) Il n'y a pas de conversion ; ou

b) Il y a conversion entre l'euro et la devise d'un Etat membre ou entre les devises de deux Etats membres.

La date de valeur du débit inscrit au compte de paiement du payeur ne peut être antérieure au jour où le montant de l'opération de paiement est débité de ce compte.

Ces dispositions s'appliquent si l'un des prestataires de services de paiement impliqués dans l'opération est situé sur le territoire de la France métropolitaine, dans les départements d'outre-mer, dans le Département de Mayotte, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy ou à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Toute stipulation contraire au présent I est réputée non écrite.

Autrement dit, il est admissible que la date de valeur d'une recette (crédit) portée en compte soit postérieure à la date calendaire de remise, de même qu'il est admissible qu'une écriture de dépense (débit) soit débitée du compte avec une date de valeur antérieure à la date calendaire de l'écriture.

Pour autant, ces processus de date de valeur est conçue pour des raisons purement techniques, et il ne serait pas légitime, à notre avis, que sous couvert d'une date de valeur anormalement éloignée de la date calendaire, une remise en compte soit considérée comme postérieure au jugement (ce qui serait de l'intérêt du titulaire du compte puisque la recette ne se confondrait pas avec le découvert antérieur), a fortiori si elle est à terme (Cass com 28 janvier 2014 n°12-35027)  ou qu'une opération de débit passée avant le jugement mais dont la date de valeur est postérieure devienne une créance postérieure de la banque.

Il nous semble donc légitime de s'en tenir à la stricte application de l'article L133-14 du code de commerce, tenant le fait que ni la banque ni le débiteur ne doivent faire les frais ou tirer avantage d'une dérive consistant à pratiquer des dates de valeur anormalement éloignées de la date calendaire : seules les dates strictement nécessaires sont admissibles (voir par exemple Cass com 6 avril 1993 n°90-21198)

La question des dates de valeur contractuelles reste cependant entière, encore que le texte est manifestement d'ordre public.

Rappelons enfin que le calcul du solde en tenant compte des dates de valeur peut aggraver le découvert, auquel cas la créance pourra être contestée si le débiteur est en mesure d'argumenter, ou au contraire le diminuer. Dans ce cas, le banquier sera le cas échéant suspecté d'avoir, par le jeu des dates de valeur, payé d'office et pour partie, ses créances antérieures, et ce n'est pas une contestation de créance qu'il faudra initier (puisque la créance est diminuée) mais une action principale pour contester les opérations postérieures passées en fraude de l'interdiction de paiement des créances antérieures

Le droit cambiaire et la contre-passation des effets de commerce

Plusieurs textes interfèrent sur le paiement d'un effet de commerce

L'article L511-31 du code de commerce permet l'opposition au paiement de la lettre de change en cas de procédure collective, pour protéger les coobligés des rigueurs du droit cambiaire

L'article L511-38 prévoit que

I. - Le porteur peut exercer ses recours contre les endosseurs, le tireur et les autres obligés :

1° A l'échéance, si le paiement n'a pas eu lieu ;

2° Même avant l'échéance :

a) S'il y a eu refus total ou partiel d'acceptation ;

b) Dans les cas de redressement ou de liquidation judiciaires du tiré, accepteur ou non, de cessation de ses paiements même non constatée par un jugement, ou de saisie de ses biens demeurée infructueuse ;

c) Dans les cas de redressement ou de liquidation judiciaire du tireur d'une lettre non acceptable.

Lors d'une opération d'escompte d'une lettre de change, il en découle qu'en cas d'impayé par le tiré, débiteur principal, le banquier peut poursuivre, sur le fondement du droit cambiaire, les signataires de l'effet de commerce.

Il peut aussi choisir (il a le choix) , plus simplement, de contrepasser la lettre de change sur le compte de son client, par une écriture de débit. Cette contrepassation est l'expression du droit du banquier d'être remboursé du produit de l'escompte.

Cette contrepassation reste possible en cas de procédure collective du porteur de la lettre de change qui l'a remise à l'escompte, au terme de jurisprudences anciennes jamais remises en cause Cass civ 19 mars 1930 DP 1930 I 116, Cass civ 31 mars 1930 mêmes références, Cass civ 20 juillet 1937 DP 1939 I 10)

Du strict point de vue du droit des procédures collectives, la contrepassation est en effet l'expression d'une créance de remboursement du banquier, dont le fait générateur est antérieur au jugement puisqu'il découle de l'escompte. C'est la raison pour laquelle les banquiers ont pour pratique de déclarer une créance au titre de l'encours d'escompte, qui sera dénouée après les paiements ou les contre passations.     

La jurisprudence a précisé que la contrepassation après jugement d'ouverture, par le banquier escompteur ne vaut pas paiement (sauf évidemment si la provision le permet) et lui permet (dans ce cas) de conserver le titre, et donc le cas échéant d'actionner la caution Cass com 11 juin 2014 n°13-18064

Clairement la contrepassation permet donc au banquier de débiter, après jugement d'ouverture de la procédure collective de son client, le compte de ce dernier, qu'il avait précédemment crédité antérieurement au jugement (Cass com 22 octobre 2002 n°99-14747)

Période d'observation

Le compte bancaire est un contrat en cours, et à ce titre il n'y a pas de particularité sur le fait que l'administrateur judiciaire peut en exiger la maintien en sauvegarde ou redressement judiciaire

Cependant la particularité du compte bancaire est qu'il fait scinder les opérations antérieures au jugement d'ouverture de la procédure collective et les opérations postérieures, les premières donnant s'il y a lieu à déclaration de créance de la banque en cas de découvert. Bien entendu la banque ne peut exiger, sous prétexte de maintien du compte, de compenser le découvert antérieur avec les remises postérieures (voir plus haut la déclaration de créance). C'est d'ailleurs une exception notable aux règles de la compensation puisqu'a priori les conditions de connexité sont réunies. 

La pratique a pour cette raison, et ne pas contrarier l'interdiction de paiement des dettes antérieures, recours à un arrêté de position au jour du jugement (à Zéro heure, c'est à dire en réalité la veille au soir) voire plus simplement à ouvrir un nouveau compte, qui mentionnera devant ou après le nom du titulaire le terme RJ pour redressement judiciaire ou SV pour sauvegarde, et sur lequel la position créditrice sera transférée (les chèques émis avant le jugement et provisionnés doivent être honorés sur la provision disponible et il faut par contre veiller à interrompre les prélèvements automatiques qui seraient le moyen de payer une dette antérieure).

Les inconvénients de l'ouverture d'un nouveau compte, que les banques exigent la plupart du temps pour des raisons purement pratiques qui ne se fondent sur aucun texte, sont nombreux et incontournables: l'ancien compte doit rester ouvert pour recevoir les virements déjà domiciliés par les clients de l'entreprise, les moyens de paiement (chèques et cartes) doivent être refaits, les terminaux de paiements doivent être rattachés au nouveau compte.

En tout état cette ouverture d'un nouveau compte, pour des raisons pratiques, constitue malgré tout la poursuite du contrat en cours, avec ses facilités (et son engagement de caution Cass com 11 juin 2003 n°00-12382

Théoriquement la banque ne peut refuser le maintien du compte, même sous couvert de l'ouverture d'un nouveau numéro (sur lequel il faudra veiller à transférer les prélèvements, virements, remises par terminal de paiement ...) ou de la nécessité d'adjoindre la signature de l'administrateur judiciaire à celle du dirigeant en cas de mission d'assistance (Cass com  4 juin 2013 n°12-17203) "avoir énoncé qu'en application des dispositions de l'article L. 622-13 et L. 631-14 du code de commerce, nonobstant toute disposition légale, ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, la cour d'appel a retenu, par motifs adoptés, que ces dispositions interdisent à la banque d'opposer à l'administrateur qui entend poursuivre la convention d'ouverture de compte, des prétextes tirés d'une impossibilité organisationnelle, prétextes dissimulant la volonté de la banque de cesser tout concours avec une entreprise placée en redressement judiciaire".

Comme tous les contrats en cours, le contrat est poursuivi à ses clauses et conditions, même si pour des raisons pratiques la banque maintien le compte sous un nouveau numéro.

Il en résulte que la banque ne peut refuser de maintenir un compte au nom de son client, ni remettre en cause une autorisation de découvert autorisé, qui doit perdurer dans les limites autorisées ou tolérées avant le jugement d'ouverture (par exemple Cass com 30 juin 1992 n°90-18639). Toute rupture de découvert peut donner lieu à référé de la part de l'entreprise (assistée le cas échéant de son administrateur judiciaire) pour son rétablissement Cass Com 3 décembre 1991 n°90-13714

Liquidation judiciaire

La plupart des auteurs considèrent que le compte bancaire est résilié de plein droit en liquidation judiciaire (Cass com 5 novembre 2003 n°01-01899 Cass com 20 janvier 1998 n°95-17836)

L'article R641-37 du code de commerce prévoit cependant que le compte bancaire peut fonctionner sous la signature de l'administrateur judiciaire s'il en est désigné un et du liquidateur à défaut en cas de poursuite d'activité autorisée.

Le texte précise qu'au delà du maintien d'activité ce fonctionnement est subordonnée à l'autorisation du juge commissaire avec avis du ministère public

Au delà de cette exception voir Caisse des dépots