Super privilège de la copropriété (et privilège)

En droit commun

Lors de la vente d'un actif immobilier, la copropriété est amenée à faire valoir ses droits pour le paiement des charges de copropriété non encore payées par le vendeur.

C'est l'article 2374 du code civil qui règle le rang de ces créances, en concrétisation de 19-1 de la loi 65-557 du 10 juillet 1965

La copropriété dispose d'un privilège immobilier portant sur les charges dues, provisions du budget prévisionnel ou hors budget prévisionnel de l’année en cours ou des années précédentes, et les provisions pour travaux d’amélioration à venir (travaux futurs déjà votés dont l'appel de fonds est échu), les dommages intérêts, les frais de justice, le fonds de travaux, les travaux de restauration de l'article L313-4-2 du code de l'urbanisme.

Les sommes dues doivent être ventilées:

- l'année en cours et les deux années précédentes (par rapport à la vente de l'immeuble) sont payées avant toute autre créance, y compris privilège du prêteur ou hypothécaire, et c'est la raison pour laquelle on évoque parfois le "super privilège" de la copropriété  (voir le mot privilège), ce qui reste assez relatif puisque ce privilège passe après le superprivilège des salaires et le privilège des salaires.

- jusqu'à la cinquième année (en réalité deux années de plus que le "super privilège"), la copropriété bénéficie d'un privilège de rang inférieur, en concours avec les créanciers inscrits au titre du privilège du prêteur ou du vendeur.

Concrètement ces sommes sont donc payées avant le créancier hypothécaire.

- au delà la copropriété bénéficie du privilège du bailleur (article 19 de la loi 65-557 du 10 juillet 1965)

Le privilège de la copropriété est le seul privilège immobilier "occulte" c'est à dire qui n'est pas inscrit au fichier immobilier, ce qui est logique puisqu'il n'existe que pour autant que l'immeuble soit vendu, et ne peut donc, par hypothèse, être invoqué avant.

La préservation du privilège suppose que, dans les 15 jours de l'avis de mutation qui lui est faite, le syndic fasse opposition par acte extrajudiciaire (article 20 de la loi 65-557 du 10 juillet 1965).

L'opposition contient élection de domicile, et à peine de nullité le montant et les causes de la créance, c'est à dire sa ventilation.

L'opposition doit être faite à celui qui a qualité pour répartir les fonds Cass civ 3ème 28 février 2001 n°99-15330

L'article 5-1 du décret 67.223 du 17 mars 1967 (par renvoi de l'article 4 c'est à dire ventilation des charges, travaux ... ) et à défaut de ventilation, au besoin dans les annexes de l'opposition, la créance est chirographaire cass civ 3ème 25 octobre 2006 n°05-16835

En cas de vente de plusieurs lots il doit y avoir une opposition par lot ou à tout le moins une ventilation par lot Cass civ 3ème 22 juin 2017 n°16-15195

"l'opposition devait comporter, non seulement la répartition des charges et des travaux selon le privilège ou le " super privilège " que le syndicat invoquait mais aussi le détail des sommes réclamées selon leur nature, et le lot auquel elles étaient afférentes " Cass civ 3 3 novembre 2011 n°10-20182 et "l'absence de distinction entre les quatre types de créances du syndicat prévue à l'article 5-1 du décret du 17 mars 1967, qui constitue un manquement à une condition de forme, a pour seul effet de faire perdre aux créances bénéficiant de l'article 2374 1° bis du code civil leur caractère de créances privilégiées et superprivilégiées, celles-ci ne pouvant alors valoir que comme créances hypothécaires ou chirographaires" Cass civ 3 27 novembre 2013 n°12-25824 et 12-27385

Voir également sur le fait que l'opposition doit comporter une ventilation des différents postes de créance ( Charges et travaux année en cours et deux années suivantes / charges et travaux deux années suivantes / autres créances)  Cass civ 3ème 22 juin 2017 n°16-15195

En procédure collective

Le principe

Le principe reste le même en cas de procédure collective.

Cependant l'imbrication du droit des procédures collectives avec le droit civil est assez mal combinée.

Comme déjà indiqué c'est la vente de l'immeuble qui permet au syndicat de copropriétaire de revendiquer le "super privilège" et le privilège dont il bénéficie.

Ainsi, en théorie, à partir de la date de la vente de l'immeuble, il convient de remonter dans le temps : année en cours et deux années qui précèdent sont garanties par le "super privilège", les deux années suivantes par le privilège, et les autres années sont chirographaires.

Cependant il se peut que la vente de l'immeuble intervienne très tardivement par rapport au jugement d'ouverture de la procédure collective : la question se pose alors de savoir si les créances du syndicat des copropriétaires, pour leur partie postérieure au jugement d'ouverture, bénéficient du traitement préférentiel des créances postérieures (très défavorable en l'espèce puisqu'en matière immobilière les créances postérieures passent après les créances hypothécaires) ou du super-privilège (et dans ce cas elles priment l'hypothèque.

Un avis de la Cour de Cassation (Cass 21 janvier 2002 n°01-00009) (qui n'a pas suivi l'avis du conseiller rapporteur), indique, à la question "Quel est le texte qui s'applique pour colloquer un syndicat de copropriétaires dans le cadre de la liquidation judiciaire de son débiteur :

Est-ce l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985, qui intéresse les procédures collectives ? (texte de l'époque régissant les créances postérieures)

Est-ce l'article 2103.1o bis, alinéa 2, du Code civil issu de la loi du 21 juillet 1994 ? "

La réponse est la suivante :

Il résulte de la volonté du législateur qu'en cas de liquidation judiciaire seules les créances antérieures au jugement d'ouverture, garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention, sont comprises dans l'exception prévue par l'article 40, alinéa 2, de la loi du 25 janvier 1985, devenu l'article L. 621-32.II du Code de commerce et que le paiement de celles nées postérieurement doit être effectué conformément aux dispositions de l'article L. 621-32 III.5° du Code de commerce "

Autrement dit les créances postérieures du syndicat de copropriétaires sont traitées en rang de créances postérieures (de dernier rang), et donc passent après l'hypothèque, et seules les créances antérieures peuvent prétendre passer avant. On en arrive au paradoxe que les créances antérieures sont mieux traitées que les créances postérieures.

Pour schématiser, plus la date de la vente est éloignée du jugement d'ouverture plus l'emprise du "super privilège" et du privilège se réduit, jusqu'à parfois être totalement inexistante.

En effet l'application cumulée du code civil et du droit des procédures collectives a pour conséquence qu'à partir de la date de la vente, on doit effectuer un calcul à l'envers : les créances postérieures au jugement sont à traiter en dernier rang des créances postérieures "utiles" (voir cependant ci dessous) 

Si la vente a eu lieu plus d'une année en cours et deux années après le jugement d'ouverture, le "super-privilège" ne peut être revendiqué, si la vente a eu lieu plus de l'année en cours et 4 années après le jugement d'ouverture, le privilège du syndicat ne peut être invoqué.

Si la vente a lieu à l'intérieur de l'un ou l'autre de ces deux délais, le prorata correspondant bénéficie du "super-privilège" ou du privilège du syndicat des copropriétaires.

Mais encore convient-il de préciser que ces privilèges ne sont préservés que si le syndicat des copropriétaires

- déclare créance dans le délai légal. Mais la particularité, comme déjà indiqué, est que le privilège ne se "concrétise" qu'en cas de vente Cass civ 3ème 15 février 2006  n°04-19095 de sorte qu'avant la vente, la créance est privilégiée au seul titre du privilège du bailleur (qui en pratique n'est pas revendiqué dans les déclarations de créance, seule une créance chirographaire étant généralement invoquée dans la déclaration de créance) .

Ainsi au stade de l'admission de la créance, dans le cas où la vente n'est pas réalisée, il n'est pas possible d'admettre la créance au titre du privilège de la copropriété et la créance sera donc admise à titre chirographaire (Cass civ 3ème 15 février 2006 n°04-19095)

La déclaration de créance sera valablement effectuée "au titre du super-privilège ou à défaut du privilège ou encore à titre du privilège du bailleur en fonction de la date de la vente à intervenir", mais il n'y a pas de difficulté à ce qu'elle ne soit que chirographaire, puisque c'est la vente, ou plus exactement l'opposition qui sera faite en cas de vente qui "rétablira" le caractère privilégié de la créance (voir ci après)

- forme opposition par acte d'huissier dans les 15 jours de l'avis de mutation (adressé par le notaire en cas de vente de gré à gré et par l'avocat du poursuivant en cas de vente sur saisie immobilière), dans les conditions de l'article 5-1 du décret du 17 mars 1967.

Le débat sur le caractère utile de la créance postérieure

La Cour de Cassation a jugé que la créance de la copropriété n'était pas une créance postérieure "inhérente à la liquidation judiciaire qui serait née pour assurer son bon déroulement" et n'avait donc pas à être payée en rang de créance postérieure. Cass com 14 novembre 2019 n°18-17812. Si cette jurisprudence était confirmée, les créances postérieures du syndicat des copropriétaires ne seraient plus payées en rang de créance postérieure dans le cas où l'immeuble n'est pas habité par le débiteur.

Par contre si l'immeuble est la résidence du débiteur, Il s'agit des "créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation, ou en contrepartie d'une prestation fournie au débiteur pendant cette période" (article L622-17 du code de commerce) texte de la sauvegarde rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L631-14, et l'article L641-13 pour la liquidation