Action en responsabilité (et procédures collectives)

Quelques points de la définition

Généralités

L'exercice de l'action en procédure collective

La répartition du produit de l'action

affectation en cas de plan : entrée dans le patrimoine de l'entreprise et affectation au plan

répartition en cas de liquidation : respect de l'ordre des privilèges

Le cas particulier de l'action en comblement de passif

les autres actions en responsabilité: les limites

Généralités

Indépendemment des sanctions éventuellement prononcées contre les dirigeants (voir les sanctions ) les organes de la procédure peuvent être amenés à rechercher la responsabilité d'un tiers qui a causé un préjudice aux créanciers.

Cette action est une action fondé sur les principes de droit commun de la responsabilité.

L'exercice de l'action

La loi organise l'arrêt des poursuites individuelles des créanciers, qui ne peuvent donc mener d'action pour être indemnisés du préjudice représenté par leur créance.

C'est leur représentant qui a monopole d'action en leur nom et dans leur intêret: le mandataire judiciaire en sauvegarde ou redressement judiciaire (article L622-20 du code de commerce), le liquidateur en liquidation (L641-4 du code de commerce).

Dans certains cas cependant (carence du professionnel) un créancier nommé contrôleur peut mener l'action (L622-20)

La répartition du produit de l'action menée dans l'intêret des créanciers et l'absence de compensation avec la créance

La loi du 25 janvier 1985 a mis un terme à la notion de « masse des créanciers », c’est-à-dire de groupement organisé, disposant d’un patrimoine propre.

Antérieurement il était admis que les actions menées dans l’intérêt des créanciers entraient dans le patrimoine de la « masse » et pas dans celui du débiteur.

La jurisprudence en a toujours tiré pour conséquence que la compensation était impossible : un tiers condamné à indemniser un préjudice subi par les créanciers devait se libérer de sa dette au profit de la masse, et ne pouvait invoquer la compensation entre sa dette au profit de ladite « masse » et une éventuelle créance dont il disposait sur le débiteur.

Il n’y avait en effet pas de réciprocité entre débiteur d’une somme et créancier d’une autre. Ce raisonnement permettait de faire échec à la compensation, de manière en réalité assez critiquable puisque le tiers condamné devait assumer la totalité de sa condamnation, en ce compris les sommes dont il était prévisible qu'elles lui seraient ensuite restituées au titre des dividendes sur la créance.

Une autre évolution de la jurisprudence est intervenue dans un autre domaine: alors que les privilèges généraux susceptibles de s’appliquer sur les biens du débiteur, n'avaient a priori pas de raison de s'appliquer sur le produit des actions qui entrait dans le patrimoine de la « masse » qui était distinct de celui du débiteur, la Cour de Cassation avait rendu plusieurs arrêts de principe au terme desquels l'ordre des privilèges devait être respecté dans la répartition des sommes obtenues (par exemple Cass com 18.04.1983 n°81-15483).

En pratique l'effet de ces décisions était de favoriser le Trésor Public et les organismes sociaux, bénéficiaires de privilèges généraux venant en bon rang sur les actifs du débiteur.

La suppression de la « masse » par la loi du 25 janvier a rendu moins justifiable encore l’argumentation permettant de faire échec à la compensation, et a par contre légitimé la solution selon laquelle les sommes obtenues devaient être réparties selon l'ordre des privilèges : en effet , faute de "masse", d’une manière ou d’une autre le produit de l’action entre dans le patrimoine du débiteur en sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire..

Les législations successives ont toutes comporté trois textes, reproduits pratiquement à l’identique depuis 1985, qui viennent préciser le sort des sommes obtenues en conséquence des actions menées dans l'intêret des créanciers:

1- En cas de plan le produit de l’action mené dans l’intérêt des créanciers est affecté au paiement des créanciers selon les modalités du plan.

C’est l’actuel article L622-20 du code de commerce, situé dans la partie "période d'observation" de la "sauvegarde", mais également applicable au redressement judiciaire, qui dispose: "Les sommes recouvrées à l'issue des actions introduites par le mandataire judiciaire ou, à défaut, par le ou les créanciers nommés contrôleurs, entrent dans le patrimoine du débiteur et sont affectées en cas de continuation de l'entreprise selon les modalités prévues pour l'apurement du passif."

Ce texte est la reproduction des dispositions légales antérieures: article L621-39 codifié par l'ordonnance du 18 Septembre 2000, lequel reproduisait le texte de l'article 46 de la loi du 25 janvier 1985.

2- en cas de liquidation judiciaire les fonds disponibles sont répartis aux créanciers dans le respect de l’’ordre des privilèges.

Les sommes issues de l'action menée dans l'intêret des créanciers ne subissent pas, faute de précision légale, de traitement particulier.

C’est l’actuel article L643-8 du code de commerce, situé dans la partie "liquidation" du code de commerce, qui dispose sans distinction : "Le montant de l'actif, distraction faite des frais et dépens de la liquidation judiciaire, des subsides accordés au débiteur personne physique ou aux dirigeants ou à leur famille et des sommes payées aux créanciers privilégiés, est réparti entre tous les créanciers au marc le franc de leurs créances admises".

Ce texte est la reproduction des dispositions légales antérieures: article L622-29 codifié par l'ordonnance du 18 Septembre 2000, lequel reproduisait le texte de l'article 166 de la loi du 25 janvier 1985.

3- par exception expressément prévue par la loi.le produit de l’action en « comblement de passif » est réparti « au marc le franc »,

La répartition est effectuée au marc le franc, c'est à dire que les privilèges ne s'exercent pas.

Voir le mot comblement de passif

La jurisprudence a longtemps hésité à fixer les limites de l'exception légale spécifique à l'action en comblement de passif

Pendant un temps la jurisprudence, sans doute désireuse de limiter l'emprise des privilèges et de favoriser les créanciers chirographaires, a étendu au maximum la solution de la répartition au marc le franc (voir ce mot dans le lexique) alors même qu’aucun texte ne le justifiait pour d'autres actions que l'action en comblement.

Ainsi plusieurs arrêts de la Cour de Cassation ont admis que le produit d’une action en responsabilité, bien que n’étant pas une action en comblement de passif qui est le seul cas pour lequel la loi le précise expressément, devait être réparti au marc le franc, et ne pouvait donner lieu, pour cette raison (d’ailleurs peu défendable) à compensation.

Par exemple un arrêt de la chambre commerciale du 4 octobre 2005 (n°02-19.332) donne la solution suivante : « les sommes recouvrées à la suite des actions que le commissaire à l'exécution du plan engage dans l'intérêt collectif des créanciers entrent dans le patrimoine du débiteur pour être affectées en cas de continuation de l'entreprise, selon les modalités prévues pour l'apurement du passif et pour être réparties en cas de cession entre tous les créanciers au marc le franc ».

D’autres arrêts sont dans le même esprit, généralement pour contrer des demandes de compensation :

  • Cass com 28 mars 1995 n°93-13937, et Cass com 6 mai 1997 n°94-20855 : « le représentant des créanciers agit dans l'intérêt collectif de ceux-ci et que les sommes recouvrées à la suite des actions qu'il engage entrent dans le patrimoine du débiteur pour être affectées, en cas de continuation de l'entreprise, selon les modalités prévues pour l'apurement du passif et pour être réparties en cas de cession de l'entreprise ou de liquidation, entre tous les créanciers, au marc le franc
  • Cass com 9 novembre 2004 n°01-12523 : les sommes recouvrées à la suite des actions que le liquidateur engage ou poursuit dans l'intérêt collectif des créanciers entrent dans le patrimoine du débiteur pour être réparties, entre tous les créanciers, au marc le franc
  • Cass com 7 avril 2009 n°08-10427 qui est déjà moins précis et se contente de refuser la compensation au motif que le produit de l’action doit être réparti « entre tous les créanciers » sans en préciser les modalités.

C’est un arrêt du 11 juin 2014 de la chambre commerciale (n°13-12658) qui est, semble-t-il, venu mettre un terme aux précédentes interprétations, qui ne reposaient sur aucun texte et allaient à l’encontre du droit des privilèges.

Cet arrêt, qui est un arrêt de principe, juge en effet en ces termes qu’en liquidation judiciaire la répartition doit se faire, dans le respect de l’ordre des privilèges :

« Il résulte de l'article L. 622-29 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises, que le montant de l'actif, distraction faite des frais et dépens de la liquidation judiciaire et des subsides accordés au chef d'entreprise ou aux dirigeants ou à leur famille, est réparti entre les créanciers en tenant compte de leur rang. Dès lors, viole ce texte, la cour d'appel qui retient qu'une somme recouvrée à la suite d'une action engagée par le mandataire de justice dans l'intérêt collectif des créanciers doit, en application de l'article L. 621-39, alinéa 3, du code de commerce, être répartie entre tous les créanciers au marc le franc »

Les indications de publication de cet arrêt (P + B + R +I) permettent de lui donner une très grande importance (Publication au bulletin des arrêts de la Cour de Cassation + au bulletin d'information + dans le rapport annuel + sur le site internet de la Cour de Cassation) d'autant plus qu'il s'agit d'un arrêt rendu en formation de section (9 à 15 magistrats suivant les cas).

On peut donc penser que cet arrêt affirme une solution qui sera maintenue pour toutes les actions pour lesquelles la loi ne prévoit pas une autre modalité (c’est-à-dire dans tous les cas sauf pour l’action en comblement pour laquelle le texte prévoit expressément une répartition au marc le franc).

(certains commentateurs pensent que le doute peut peut-être encore subsister pour une action menée en période d'observation et dont le produit serait réparti avant l'adoption du plan ... mais on voit mal à la vérité comment une telle action pourrait être menée et aboutir avant la fin de la période d'observation, et encore moins pour quelle raison son produit serait réparti).