Répartition du produit de la liquidation judiciaire

Quelques points de la définition

définition

principe: répartition dans l'ordre des privilèges

principe de subsidiarité, ordre des répartitions et conséquences sur le "prorata" des créanciers privilégiés

exception répartition au marc le franc

le cas particulier des créanciers disparus

salarié disparu

créancier disparu autre que salarié 

la remise en cause des répartitions effectuées

Définition

C’est le fait pour le liquidateur d’affecter les sommes qu’il détient pour le compte du débiteur aux différents créanciers composant le passif.

La répartition relève du seul liquidateur y compris pour les procédures de distribution qui étaient en cours au jour du jugement d'ouverture, et les éventuels séquestres doivent remettre les fonds au liquidateur (article R641-23 qui renvoi aux articles R622-19 et R622-20)

Principe : respect de l'ordre des privilèges puis répartition égalitaire

Par principe la répartition est effectuée en respectant l’ordre des privilèges (voir ce mot) et la règle de paiement égalitaire des créanciers chirographaires: à partir de l'actif disponible, le liquidateur procède au paiement des frais de justice inhérents au déroulement de la procédure (honoraires, frais de greffe), le cas échéant des subsides accordés par le juge commissaire au débiteur et à sa famille, puis au paiement des créanciers privilégiés suivant leur rang (lequel dépend de la provenance de la somme). Ce n'est qu'une fois ces paiements effectués que les créanciers dits "chirographaires" (voir ce mot) et les créanciers dont le privilège ne porte pas sur la somme en question (par exemple un créancier qui a un privilège de nantissement sur un fonds de commerce est traité comme chirographaire sur des sommes qui ne proviennent pas de la cession du fonds de commerce) sont payés égalitairement (c'est à dire suivant le même pourcentage).

Le principe découle de l'article L643-8 du code de commerce.: "Le montant de l'actif, distraction faite des frais et dépens de la liquidation judiciaire, des subsides accordés au débiteur personne physique ou aux dirigeants ou à leur famille et des sommes payées aux créanciers privilégiés, est réparti entre tous les créanciers au marc le franc de leurs créances admises.

La part correspondant aux créances sur l'admission desquelles il n'aurait pas été statué définitivement et, notamment, les rémunérations des dirigeants sociaux tant qu'il n'aura pas été statué sur leur cas, est mise en réserve."

Le principe doit être expliqué.

Les créances privilégiées sont de deux nature : généraux ou spéciaux. Voir privilège

Les privilèges généraux ont vocation à s'appliquer sur tous les actifs mobiliers (sauf le super-privilège des salaires et le privilège des salaires qui sont également immobiliers et le privilège de la copropriété qui est immobilier)

Ainsi, un créancier titulaire d'un privilège spécial, par exemple une hypothèque ou un nantissement, n'exerce ce privilège que sur le prix du bien correspondant. Sur les autres actifs, sa créance est chirographaire 

Deux cas peuvent alors se présenter, suivant qu'une première répartition porte sur le prix du bien qui fait l'objet du privilège spécial, puis est suivie de la répartition du produit des autres actifs, ou que la répartition du produit des autres actifs est réalisée en premier.

Les articles L643-4 et suivants du code de commerce organisent les répartitions en fonction de l'ordre dans lequel elles sont opérées, et tenant notamment la règle de la subsidiarité.

- si les premières répartitions opérées sont relatives à des sommes sur lesquelles les créances privilégiées (privilèges spéciaux) ne s'exercent pas (ou ne s'exercent pas toutes), par exemple des fonds issus de recouvrements.

l'article L643-4 prévoit: Si une ou plusieurs distributions de sommes précèdent la répartition du prix des immeubles, les créanciers privilégiés et hypothécaires admis concourent aux répartitions dans la proportion de leurs créances totales.

Dans ce cas où plusieurs répartitions se suivent, la première de fonds sur lesquels les privilèges spéciaux ne s'appliquent pas, et la seconde de fonds sur lesquels ils s'exercent, le créancier titulaire d'un privilège spécial a donc participé à la première répartition pour la totalité de sa créance, alors que, si les répartitions avaient été réalisées dans l'ordre inverse, il n'y a aurait participé que pour le solde de sa créance. Les créanciers chirographaires sont considérés comme pénalisés (en réalité ils ne le sont pas véritablement puisque dans la répartition privilégiée le créancier ne participe que pour le solde).

l'article L643-4 prévoit donc un mécanisme complexe, qui distingue la collocation (le calcul de son dividende) du créancier (sur la totalité de sa créance) du dividende qu'il perçoit "Si une ou plusieurs distributions de sommes précèdent la répartition du prix des immeubles, les créanciers privilégiés et hypothécaires admis concourent aux répartitions dans la proportion de leurs créances totales.

Après la vente des immeubles et le règlement définitif de l'ordre entre les créanciers hypothécaires et privilégiés, ceux d'entre eux qui viennent en rang utile sur le prix des immeubles pour la totalité de leur créance ne perçoivent le montant de leur collocation hypothécaire que sous la déduction des sommes par eux reçues.

Les sommes ainsi déduites profitent aux créanciers chirographaires.

L'article L653-5 précise donc "Les droits des créanciers hypothécaires qui sont colloqués partiellement sur la distribution du prix des immeubles sont réglés d'après le montant qui leur reste dû après la collocation immobilière. L'excédent des dividendes qu'ils ont touchés dans des distributions antérieures par rapport au dividende calculé après collocation est retenu sur le montant de leur collocation hypothécaire et est inclus dans les sommes à répartir aux créanciers chirographaires."

( l'article L643-7 étend le principe aux créanciers titulaires de sûretés mobilières spéciales).

Autrement dit, on doit recalculer le dividende théorique que le créancier titulaire de sûreté spéciale aurait perçu dans la répartition "chirographaire" si elle était intervenue en second, qui est nécessaire inférieur à celui qu'il a perçu dans la répartition "chirographaire" effectuée la première. Il est colloqué (c'est à dire son droit est calculé) dans la répartition du prix du bien grevé du privilège spécial sur la totalité de sa créance. Mais la somme est "éclatée" en deux: le créancier ne perçoit que sa collocation sous déduction de ce qu'il a déjà reçu et le solde est affecté aux créanciers chirographaires.

Cela revient finalement à rétablir la situation comme si les répartitions avaient été réalisées dans l'ordre inverse.

Pour simplifier, le créancier privilégié participe pour la totalité de sa créance aux répartitions sur les fonds sur lesquels son privilège ne s'exerce pas, en rang de créance chirographaire sur ces fonds. Il ne participera ensuite à la répartition du prix du bien sur lequel s'exerce son privilège, également pour la totalité de sa créance (pour les besoins du calcul) mais ne recevra que le solde de sa créance (et le surplus de collocation auquel il aurait eu droit n'est pas affecté au rang inférieur mais aux créanciers chirographaires). 

- si les premières répartitions opérées concernent le prix d'actifs sur lesquels les privilèges spéciaux s'exercent 

l'article L643-6 précise "Les créanciers privilégiés ou hypothécaires, non remplis sur le prix des immeubles, concourent avec les créanciers chirographaires pour ce qui leur reste dû": autrement dit leur droit à répartition n'est pas calculé sur le montant de leur créance mais sur le solde, ce qui en cas de répartition partielle diminue mathématiquement leur part.

- l'article L643-7 étend le principe aux créanciers titulaires de sûretés mobilières spéciales.

Autrement dit, après la répartition privilégiée, les créanciers titulaires de privilèges spéciaux concourent, sur les sommes sur lesquelles leur privilège ne s'exerce pas, en rang de créanciers hypothécaires. Ils participent à la répartition à raison non pas de leur créance totale mais de leur créance après déduction de la somme reçue sur le bien grevé d'un privilège spécial.

C'est évidemment le canevas de répartition le plus "pratique", qui évite les calculs a postériori dans le cas où les répartitions sont réalisées sans le sens inverse (premier cas présenté). Pour autant, cet ordre fait fi du principe de subsidiarité sauf évidemment à payer le superprivilège sur les fonds non grevés de privilèges spéciaux, puis à effectuer la répartition du prix des biens grevés, et enfin la répartition des fonds non grevés de privilèges spéciaux, C'est incontestablement ce qui devrait, idéalement, être effectué. 

Principe de subsidiarité, ordre entre les répartitions et conséquences sur le prorata des créances à considérer pour les privilégiés

voir le principe de subsidiarité et surtout les privilèges

Exceptions: répartition au marc le franc

Dans certains cas particuliers, les créanciers sont payés "au marc le franc" (voir ce mot) c'est à dire que les privilèges ne s'exercent pas: c'est la cas des sommes provenant des condamnations des dirigeants en comblement de passif (voir ce mot): le texte de l'article L651-2 le prévoit expressément. Si le texte ne précise pas de dérogation expresse à la règle, les privilèges s'exercent sur les sommes réparties ( c'est par exemple le cas sur les dommages intérêts résultant d'une constitution de partie civile dans une action pour banqueroute, pourtant proche dans la finalité de l'action en comblement: faute de précision les privilèges s'exercent Cass Com 11.06.2014 n°13.12658)

Le cas particulier des créanciers "disparus"

Le temps écoulé entre l'ouverture d'une procédure collective et les répartitions est parfois important, et le créancier peut avoir subi diverses modifications de sa situation.

Le salarié "disparu"

Les sommes alloués par l'AGS que le mandataire judiciaire ou le liquidateur ne parvient pas à adresser à un salarié dont ils ne trouvent pas ou plus l'adresse, sont restituées à l'AGS. A première demande l'AGS débloquera ces sommes directement entre les mains du salarié ou de ses ayants droits, dans la limite de la prescription légale

Le créancier "disparu"

Voir le mot dividendes et répartitions non encaissés.

La remise en cause des répartitions effectuées

On peut envisager trois cas dans lesquels une répartition effectuée dans le cadre d'une liquidation judiciaire est susceptible d'être remise en cause:

Paiement provisionnel

Les articles L643-3 et R643-2 du code de commerce organise les modalités du paiement provisionnel et la restitution des fonds indument perçus s'il s'avère a postériori que la somme allouée est trop élevée au regard à répartition du droit du créancier compte tenu de son rang

Répartition définitive et erreur sur repartition

La liquidateur procède aux répartitions dans le respect d'un état des créance définitif, en affectant aux créanciers des sommes qu'il détient pour le compte de la liquidation.

L'assiette du droit du créancier repose donc sur une décision de justice définitive: l'état des créance qui comporte l'admission du créancier

Pendant longtemps, et pour cette raison, la jurisprudence n'admettait pas que le liquidateur qui avait commis une erreur dans l'ordre entre les créanciers puisse agir en répétition de l'indu, et il est vrai qu'il n'y avait pas d'indu au sens littéral puisque la créance existait véritablement.

Pour autant l'état des créance, qui fige définitivement le droit du créancier, ne règle pas l'ordre de priorité entre les créanciers.

Pour cette raison l'ordonnance de 2014 a introduit un article L643-7-1 au terme duquel "Le créancier qui a reçu un paiement en violation de la règle de l'égalité des créanciers chirographaires ou par suite d'une erreur sur l'ordre des privilèges doit restituer les sommes ainsi versées".

Cette nouvelle disposition est d'autant plus importante qu'en cas d'erreur de répartition invoquée par un créancier, il appartient au liquidateur (ou à sa caisse de garantie appelée en cas d'action en responsabilité) de démontrer que la répartition a été effectuée dans le respect de l'ordre des privilèges, et pas, évidemment au demandeur de rapporter la preuve de l'erreur. Cass com 13 décembre 2017 n°14-14205

Cependant si la répartition "erronée" est la conséquence de l'admission "erronée" elle aussi de la créance, elle ne peut être remise en cause Cass com 13 décembre 2017 n°16-21265 ... encore qu'en réalité l'état des créance ne règle pas l'ordre entre les créanciers. 

Mais de manière plus surprenante, la Cour de Cassation considère que le créancier qui reçoit un dividende à la suite d'une erreur sur un état de collocation, même définitif, s'expose à une action en restitution Cass com 4 octobre 2023 n°22-15456  Autrement dit l'état de collocation définitif - qui il est vrai n'est pas une décision de justice mais est l'oeuvre du liquidateur - ne permet pas au créancier de refuser de restituer une somme indument perçue.

Répartition de sommes que la liquidation doit restituer

A priori le liquidateur procède aux répartitions des sommes dont il dispose définitivement sans risque d'avoir à les restituer. Par exemple si le liquidateur a réalisé des actifs il attendra que les opérations de vente soient définitives, et s'il a obtenu une condamnation à des dommages intérêts il attendra que la décision soit définitive.

A défaut il engagerait sa responsabilité

La très médiatique affaire des sociétés de Bernard Tapie a amené la Cour de Cassation à prendre position sur un cas encore plus particulier: la liquidation avait perçu de la société CDR (organisme d'apurement des dettes du Crédit Lyonnais) des dommages intérêts résultant d'un arbitrage. Le liquidateur a réparti ces sommes, notamment d'ailleurs au CDR qui était créancier (par compensation partielle).

Par la suite, l'arbitrage a fait l'objet d'un recours en révision pour fraude, et a été annulé.

Une double question s'est posée:

- la liquidation devait elle restituer au CDR les sommes qu'elle avait perçue : la réponse est affirmative (évidemment) ce qui reste théorique puisque les fonds ne sont plus disponibles (mais pour autant en l'espèce la responsabilité du liquidateur n'est évidemment pas engagée puisqu'il a réparti sur une décision définitive).

- la liquidation devait elle restituer au CDR la totalité des sommes perçues ou pouvait elle en déduire les sommes qu'elle avait versées par compensation au CDR au titre de ses créances : la réponse de la Cour de Cassation est la suivante: les dividendes perçus par les créanciers ne sont pas remis en cause, et c'est donc la totalité des sommes perçues, avant compensation, que la liquidation doit restituer (Cass com 18 mai 2017 n°15-28683)

Cette situation inédite constitue évidemment un problème insoluble pour le liquidateur, qui ne pouvait certainement pas imaginer que l'arbitrage devenu définitif ferait l'objet d'un recours en révision, et le problème sera sans doute reporté sur la nature de la créance de restitution (postérieure à l'ouverture de la procédure ??) et dans le cas où il s'agirait d'une créance postérieure sur l'engagement des associés de la société à l'assumer puisqu'il s'agit d'une SNC. Plus précisément d'ailleurs dès lors que de nombreuses sociétés sont concernées, pour certaines la créance est antérieure, pour d'autres elle est postérieure (la notion de créance postérieure utile n'étant pas nécessairement dans le texte applicable à l'espèce) et en tout état ce passif doit également être assumé par les associés des SNC (personnes physiques).

Voir également le mot "marc le franc" et le mot "état de collocation