Reprise de la liquidation judiciaire (après clôture)

Les textes: circonstances et procédure

C'est l'article L643-13 du code de commerce qui envisage la possibilité de reprise de la liquidation judiciaire:

"Si la clôture de la liquidation judiciaire est prononcée pour insuffisance d'actif et qu'il apparaît que des actifs n'ont pas été réalisés ou que des actions dans l'intérêt des créanciers n'ont pas été engagées pendant le cours de la procédure, celle-ci peut être reprise.

Le tribunal est saisi par le liquidateur précédemment désigné, par le ministère public ou par tout créancier intéressé. S'il est saisi par un créancier, ce dernier doit justifier avoir consigné au greffe du tribunal les fonds nécessaires aux frais des opérations. Le montant des frais consignés lui est remboursé par priorité sur les sommes recouvrées à la suite de la reprise de la procédure.

La reprise de la procédure produit ses effets rétroactivement pour tous les actifs du débiteur que le liquidateur aurait dû réaliser avant la clôture de la procédure de liquidation judiciaire.

Si les actifs du débiteur consistent en une somme d'argent, la procédure prévue au chapitre IV du présent titre est de droit applicable".

Ce texte est complété par l'article R643-24 "Le tribunal statue sur la reprise de la procédure de liquidation judiciaire prévue à l'article L. 643-13 après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur. La décision de reprise de la procédure fait l'objet des avis et publicités prévus aux articles R. 621-7 et R. 621-8. Elle est signifiée au débiteur et, le cas échéant, notifiée au créancier demandeur"

Généralités

Les effets de la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire sont très importants, avec notamment l'absence, par principe, de reprise des poursuites des créanciers.

Ainsi, concrètement, s'il apparait par la suite que le débiteur dispose de biens nouveaux ou de revenus qui permettraient le paiement des créanciers, ces créanciers ne peuvent agir pour rechercher le règlement du solde de leur créance (voir par exemple Cass com 4 juillet 2018 n°16-25542)

C'est l'effet de la loi.

Au delà des exceptions à l'absence de reprise de poursuites (voir le mot "clôture pour insuffisance d'actif"), la loi envisage le cas où la liquidation judiciaire a été clôturée pour insuffisance d'actif et qu'il s'avère qu'un bien qui était présent n'a pas été réalisé (il se peut que le liquidateur n'en ait pas eu connaissance) ou qu'une action dans l'intêret des créanciers n'a pas été menée ( y compris d'ailleurs la répartition d'une somme d'argent Cass com 9 juillet 2019 n°18-18393)

Précisons que l'exécution d'une décision qui avait été obtenue par le liquidateur, mais qui n'avait pas été menée à bien, peut justifier la reprise de la liquidation,  même si, stricto sensu, il ne s'agit pas de mener une action dans l'intérêt des créanciers.

"Il en résulte que le droit d'agir ainsi reconnu au liquidateur emporte, pour celui-ci, la faculté de poursuivre l'exécution forcée d'une décision obtenue pendant la liquidation judiciaire au bénéfice des créanciers et qu'il n'avait pu ramener à exécution" Cass com 21 octobre 2020 n°19-14894 pour une condamnation en comblement de passif que le liquidateur n'avait pas pu exécuter, et qui permet, après clôture, d'appréhender le produit de parts sociales du dirigeant au capital d'une SCI dont l'immeuble est vendu.

Dans les cas de reprise de la liquidation, le tribunal, saisi par celui qui était liquidateur, ou par le Ministère Public ou encore par tout créancier (y compris un créancier hypothécaire non averti de l'ouverture de la liquidation Cass com 29 novembre 2016 n°15-13190) peut décider de la reprise de la liquidation judiciaire clôturée prématurément (ou dit parfois également la réouverture de la liquidation) pour insuffisance d'actif (et uniquement pour insuffisance d'actif (la reprise de la liquidation n'est pas possible en cas de clôture pour extinction du passif, cas dans lequel un éventuel créancier omis a une possibilité de reprise des poursuites)

Encore faut il que les créances ne soient pas prescrites depuis la clôture: or la prescription de l'exécution de justice (en l'espèce la décision d'admission de la créance) se prescrit par 10 ans à compter de la clôture de la liquidation judiciaire (voir le mot prescription et interruption). Si on admet que la décision d'admission est n'est pas un titre (ce qui est probable mais n'a pas été jugé, car la décision ne condamne pas au paiement et ne comporte pas de formule exécutoire), ce serait alors le délai de prescription de la créance (( ans en principe) qui serait applicable à compter de la clôture. 

Ajoutons que les créances non déclarées au passif sont inopposables à la procédure et ne peuvent non plus fonder une demande de reprise de la liquidation.

A priori et dès lors que l'action est menée au contradictoire du débiteur, la personne morale si c'en était une, doit encore exister, la reprise n'étant pas possible si elle a disparu (mais il est vrai que si des actifs subsistent elle n'a pas disparu, voir radiation)

La notion de dissimulation qui a pu exister dans les anciennes législations a disparu et il n'est donc pas nécessaire de démontrer que le débiteur a agi sciemment.

Enfin il n'est pas nécessaire que l'actif omis ou l'action qui n'a pas été menée comporte des enjeux importants, et le bénéfice, même modeste, à en attendre pour les créanciers suffit à justifier la reprise de la liquidation (par exemple CA Colmar 27 MARS 2012 n°11-06001 cité à la lettre d'actualité des procédures collectives de Juillet 2012 alerte 181).

 La reprise de la procédure ne peut nullement être envisagée s'il s'agit d'appréhender des biens nouveaux du débiteur, reçus postérieurement à la clôture, mais comme exposé ci après, la question d'attraire ces biens à la procédure réouverte se pose véritablement ( et la réponse semble être positive).

Les effets généraux de la reprise de la liquidation ne sont pas précisés par les textes qui donnent simplement deux précisions: (article L643-13 du code de commerce)

- concernant les biens omis, la reprise de la liquidation a un effet rétroactif (Cass com 16 mars 2010 n°08-13147), ce qui on le suppose tend à considérer que les actes effectués sur ces biens par le débiteur entre la clôture et la reprise de la liquidation sont sanctionnés exactement comme s'ils avaient été accompli nonobstant le dessaisissement

- si ces actifs sont constitués par une somme d'argent, la procédure est pousuivie suivant les règles de la liquidation simplifiée (il peut s'agir d'une créance Cass com 17 septembre 2002 n°99-16660)

Les autres effets de la reprise de la liquidation ne sont pas précisés.

Soit on considère que la reprise de la liquidation a pour effet de revenir sur le jugement de clôture, soit on restreint l'emprise de la procédure reprise aux biens omis. 

Arguments pour qu'il soit totalement revenu sur le jugement de clôture

A priori dès lors que le tribunal revient sur la clôture de la liquidation, on devrait considérer que le débiteur est à nouveau en liquidation judiciaire avec tous les effets qui y sont attachés. Ce n'est pas une nouvelle procédure qui est ouverte (Cass com 22 mars 2016 n°14-18873)

Et d'ailleurs si le texte a pris soin de préciser que concernant les biens omis la reprise de la liquidation a un effet rétroactif, c'est que, par différence, pour les autres biens elle n'en a pas, C'est d'ailleurs semble-t-il pour cette raison que la Cour de Cassation a dit ne pas y avoir lieu à renvoi devant le Conseil Constitutionnel sur une QPC au motif que les dispositions autorisant la reprise de la liquidation ne permet pas la contestation d'opérations réalisées par le débiteur entre la clôture de sa liquidation judiciaire et la reprise de celle-ci (Cass com 29 janvier 2013 n°12-40089)

Ainsi la liquidation reprise devrait permettre au liquidateur de mener des actions dans l'intéret des créanciers (Cass com 10 mai 2012 n°10-28217) , d'appréhender les biens nouveaux, et le débiteur devrait à nouveau être dessaisi ... mais, et c'est logique, les actes effectués sur les biens nouveaux entre la date de la clôture et celle de la reprise de la liquidation ne sont pas frappés par un dessaisissement rétroactif.

Sur les effets de la reprise de la liquidation, qui militent pour une emprise totale de la liquidation, la Cour de Cassation a jugé :

- que la reprise de la liquidation portait sur tous les biens omis, y compris ceux qui n'étaient pas visés dans la demande de reprise de la liquidation (Cass com 10 mai 2012 n°11-13284), et, de fait, si la liquidation est reprise il ne semble pas, faute de distinction légale, que le pouvoir du liquidateur soit limité à tel ou tel bien, antérieur ou pas à la clôture. Comme l'indique le commentateur de l'arrêt de la Cour d'appel de COLMAR précité, cette solution n'est pas techniquement inconcevable puisque le texte n'en dit rien, et devient parfaitement défendable a fortiori en cas de fraude du débiteur, puisque dans cette hypothèse en tout état le législateur a prêvu la reprise des poursuites après clôture: la reprise de la liquidation a exactement les mêmes effets.

- que la reprise de la liquidation a pour effet de rétablir le juge commissaire dans les fonctions et prérogatives qu'il avait antérieurement (Cass com 16 mars 2010 n°08-13147, Cass com 2 juin 2015 n° 13-24125)

- que si un créancier inscrit n'avait pas été invité à déclarer créance, il pouvait l'être (Cass com 22 mars 2016 n°14-18873). Dans ce cas l'avertissement d'avoir à déclarer créance doit mentionner que la procédure est "rouverte" et pas "ouverte" pour que le créancier identifie parfaitement la liquidation judiciaire (même arrêt), et à défaut il est irrégulier.

- que le liquidateur est rétroactivement investi de la qualité pour représenter le débiteur (Cass com 3 juillet 2007 n° 03.20942)

Mais surtout, la Cour de Cassation a rendu une décision par laquelle elle qualifie de "rétractation du jugement de clôture" la décision par laquelle la liquidation est reprise (en l'espèce au visa de l'article L622-34 du code de commerce qui est le texte applicable à la cause) dans les cas où des actions dans l'intêret des créanciers n'ont pas été menées. Dans cet arrêt la Cour de Cassation précise bien que "la rétractation du jugement de clôture d'une liquidation judiciaire efface rétroactivement les effets de celle-ci ... le tribunal en a déduit exactement que le liquidateur judiciaire, M. Y..., était resté investi de ses prérogatives (Cass com 13 juin 2006 n°05-10888).

C'est d'ailleurs pour cette raison que le Professeur DERRIDA qui a longtemps été un des auteurs de référence en la matière parlait de "véritable resurrection de la procédure" ( Dalloz Redressement et liquidation judiciaires, 3ème ED n°328)

Arguments pour limiter les effets de la reprise de la liquidation aux biens omis et position de la Cour de Cassation

Certains auteurs considèrent que les effets de la reprise devraient se limiter aux seuls biens omis, mais sans présenter au soutien de cette analyse d'argumentation juridique ni sans mettre en avant une telle scission dans le patrimoine du débiteur, qui n'est pas prêvue par la loi.

Ils tirent argument d'un arrêt de la Cour de Cassation du 24 mars 2015 (13-28155) pour en conclure que la reprise de la liquidation judiciaire aurait une portée limitée: l'arrêt en question ne fai en réalité que préciser qu'un contrat de prêt contracté entre la clôture et la reprise de la liquidation judiciaire a un statut de créance postérieure, et n'est donc pas soumis à la règle de la suspension des poursuites: c'est en réalité le droit commun des créances postérieures (et en outre la distinction entre les créances "utiles" et les autres n'existait pas dans le texte applicable à la cause).

Un arrêt que nous considérons comme de pure circonctance est venu adopter cette thèse: "si la reprise de la liquidation judiciaire a un effet rétroactif, cet effet est limité à la saisie et la réalisation des actifs et l'exercice des actions qui ont été omis dans la procédure clôturée ; que la reprise de la procédure n'emporte donc pas à nouveau le dessaisissement général du débiteur, qui reste libre de contracter et d'engager des biens qui n'avaient jamais été compris dans la liquidation " Cass com 22 mars 2017 n°15-21146