Responsabilité des mandataires de justice

Quelques points de la définition

Le principe

Quelques exemples dans l'exercice des missions

Quelques exemples en cas de violation manifeste des règles applicables ou d'abus de droit

Tribunal compétent

Privilège de juridiction (article 47 du CPC)

Qui peut agir ?

La prescription de l'action

Le principe

La responsabilité des mandataires de justice est appréciée selon les règles de la responsabilité civile délictuelle et consiste à rechercher si le mandataire a accompli sa mission dans le respect des règles applicables.

Le mandataire de justice est en effet mandaté par une juridiction et n'a donc pas de "contrat" avec le débiteur en procédure collective ou les créanciers et/ou salariés, et sa responsabilité n'est donc pas de nature contractuelle (voir le mot "responsabilité" et le mot caisse de garantie qui détaille les assurances dont bénéficient les professionnels )

Si la mission de mandataire de justice est exercée par une personne morale de professionnels, c'est contre cette personne morale que l'action en responsabilité doit être dirigée, nonobstant le fait que c'est l'un des associés qui avait été désigné, l'exercice individuel de la mission étant impossible Cass com 3 avril 2018 n°17-14584 Cass com 26 octobre 2022 n°21-15619 mais évidemment la personne morale n'endosse pas la responsabilité de son associé pour des faits commis dans un dossier clôturé avant la constitution de la société Cass com 8 mars 2023 n°21-23246

La responsabilité pénale est également parfois encourue, notamment au visa de l'article L654-12 du code de commerce (pour un exemple de détournement et d'action en responsabilité contre la banque, menée par la Caisse de Garantie et les assureurs voir Cass com 25 septembre 2019 n°18-15965 et 18-16421)

Les mandataires de justice disposent d'une Caisse de Garantie qui couvre les conséquences des fautes commises, évidemment avec les restrictions légales applicables, et la représentation des fonds qu'ils détiennent pour le compte des tiers. 

Les assureurs de la Caisse de Garantie doivent être appelés par elle à la cause Cass civ 2ème 17 décembre 2020 n°19-19272 dans le délai de deux ans à compter de l'action entreprise contre ladite Caisse.

Pour un résumé de la mise en jeu des règles disciplinaires et des perspectives d'évolution voir le rapport de l'inspection générale de la justice Octobre 2020 n°2019/00287

Evidemment l'action doit être menée contre le professionnel et pas contre le professionnel "ès qualité" Cass com 15 mai 2019 n°18-10889 18-16960 Cass com 1er juillet 2020 n017-10304 19-12946

Quelques exemples dans l'exercice des missions

La responsabilité d'un professionnel est parfois invoquée :

Recours aux intervenants extérieurs

- dans le cadre du recours à un avocat pour effectuer des tâches qui incombent au mandataire de justice, sans autorisation du Président (voir intervenants), cette sous-traitance étant nécessairement sous la responsabilité du professionnel Cass com  30 juin 2021 n°20-13722 dans le cas où l'avocat a détourné des fonds à l'occasion de la rédaction d'un avenant à une convention)

Plan incohérent

- dans le cadre de l'adoption d'un plan manifestement déficitaire et sans étude du passif Cass com 18 mai 2017 n°15-13237

Poursuite de contrats

- par des contractants : par exemple un administrateur judiciaire indique à un contractant qu'il s'engage à poursuive un contrat et il s'avère par la suite que l'administrateur judiciaire n'est pas en mesure de payer le contractant. S'il est démontré que dès le moment où il a pris la décision de poursuivre le contrat, l'administrateur judiciaire aurait du savoir qu'il ne pourrait pas payer, sa responsabilité peut être engagée. Cass com 2 novembre 2016 n°15-13324 ou si l'administrateur judiciaire a poursuivi le contrat en sachant qu'il ne pourrait le payer Cass com 5 avril 2016  n°14-21664. Cependant le liquidateur n'a pas d'obligation de résultat et n'apporte pas la garantie absolue que les frais de gardiennage qu'il engage seront payés (notamment en raison de contentieux qui l'empêchent de vendre les actifs) Cass com 4 mai 2017 n°15-22073

- l'administrateur judiciaire qui n'a qu'une mission de surveillance en sauvegarde n'est pas responsable de l'abstention de résiliation du bail commercial, alors que la trésorerie n'en permettait pas la poursuite, a fortiori avant même qu'il ait accompli le diagnostic de l'entreprise Cass com 7 octobre 2020 n°19-14807

L'administrateur est par contre responsable de ses décisions de poursuite des contrats Cass com 23 novembre 2022 n°21-15710 a contrario

En l'absence d'administrateur judiciaire c'est le mandataire judiciaire qui donne un avis sur la poursuite du contrat, décidée par le débiteur, et le mandataire judiciaire qui n'a pas été consulté ne peut être responsable d'une décision de poursuite inappropriée Cass com 2 février 2020 n°18-21529

A l'inverse si l'administrateur judiciaire tarde à résilier un contrat il est responsable de la perte d'une chance d'éviter que le passif comporte des loyers à venir Cass com 23 novembre 2022 n°21-14250

- par un bailleur dont les loyers postérieurs au jugement ne sont pas payés, qui invoque une occupation prolongée par le liquidateur: il a été jugé que l'occupation le temps matériel de gestion des clauses de réserves de propriété n'est pas fautive et que le liquidateur n'a qu'une obligation de moyen dans le paiement des loyers Cass com 4 mai 2017 n°15-22073.

L'attitude du bailleur peut être prise en considération et notamment et notamment le fait qu'il ait sollicité la résiliation du bail ou sollicité le paiement des loyers Cass com 31 mai 2016 n°14-23946. En outre le préjudice doit être constitué et démontré, et par exemple la perte d'une chance de relouer le local établie, ce qui doit être établi au regard du marché locatif Cass com 24 janvier 2018 n°16-18528 Cass com 17 mai 2017 n°16-10762 et ne saurait être retenue si pour être loué le local nécessitait d'importants travaux et qu'aucun projet sérieux de location n'existe Cass com 12 janvier 2016 n°14-21393 et 14-22240 étant précisé qu'il ne peut être reproché au liquidateur de ne pas avoir mis en œuvre une décision frappée de recours, précisément par celui qui a formé le recours (en l'espèce en matière d'extension de procédure (même décision) mais étant cependant considéré qu'il ne commet pas non plus de faute de se prévaloir de l'exécution provisoire (voir ce mot pour des exemples).

Le liquidateur ne peut être responsable du retard dans la libération des locaux, dès lors que le bailleur a interdit l'accès aux lieux pour libérer le local Cass com 30 janvier 2019 n°17-24698

De même le liquidateur n'est pas responsable de l'absence de paiement des loyers alors que le bailleur, par ailleurs dirigeant de la société débitrice, a manqué de collaboration, exercé des recours, que les biens entreposés ne pouvaient être déplacés, et que le maintien dans les lieux avait été autorisé judiciairement Cass Com 8 janvier 2020 n°18-20844

Les mandataires de justice ne sauraient être responsables d'avoir attendu l'examen d'une proposition de reprise de nature à permettre de satisfaire l'intérêt des créanciers, en ce compris le bailleur lui même Cass com 18 janvier 2017 n°15-10287, ni d'avoir envisagé une cession puis mis un terme au bail dès qu'elle s'est avérée impossible Cass com 5 mai 2004 n°01-12404

A l'inverse le liquidateur peut être responsable des conséquences de la résiliation du bail alors qu'il n'est pas en mesure de libérer les locaux Cass com 12 novembre 2020 n°19-17602

- par un crédit bailleur immobilier qui invoque la tardiveté de la restitution de l'immeuble après décision de résiliation Cass com 6 mars 2009 n°17-20545

- dans le cadre d'une résiliation de bail au mépris d'un accord de réduction du loyer Cass com 11 mars 2020 n°18-25355

- le liquidateur ne peut être tenu responsable de l'exécution d'une décision d'extension non encore définitive et d'avoir exécuté une décision de vente "ne peut être reproché au liquidateur d'avoir recherché une cession des actifs au plus offrant et non d'autres solutions retardant ou évitant le transfert de propriété, risquées et non conformes aux objectifs de la liquidation judiciaire, dès lors qu'il a pris toutes les précautions nécessaires en informant les acquéreurs des aléas de la vente et en constituant le notaire séquestre du prix jusqu'à ce qu'il soit statué définitivement sur l'extension de la liquidation judiciaire" Cass com 28 janvier 2014 n°12-19777 et 12-20059

Salariés / licenciement

- par des salariés : par exemple un liquidateur n'a pas procédé au licenciement d'un salarié dans le délai de 15 jours du jugement de liquidation judiciaire, ce qui a pour conséquence le refus de l'AGS de prendre en charge les sommes dues au salarié. Le salarié recherche la responsabilité du liquidateur. Il n'aura pas gain de cause si le liquidateur n'avait pas et ne pouvait pas avoir connaissance de l'existence du contrat de travail dans des délais compatibles avec le respect du délai. Il pourrait avoir gain de cause s'il démontre que le liquidateur connaissait son existence, ce qui est quasiment une hypothèse d'école mais qui est souvent invoqué, en principe sans succès. Par exemple Cass soc 5 mai 2017 n°15-27859 écarte la responsabilité du liquidateur qui n'avait pas les moyens de connaître l'existence du salarié et avait mis en oeuvre les diligences adaptées). La responsabilité de l'administrateur peut également être retenue pour défaut de reclassement à l'occasion de licenciements, et nonobstant la brièveté des délais Cass com 6 mars 2019 n°17-26450

Par ailleurs les mandataires de justice ne sont pas responsables de l'absence de reclassement et de la condamnation d'une société déclarée co-employeur qui n'a pas elle même pris d'initiatives de reclassement Cass com 18 mai 2022 n°21-12188

En tout circonstance la responsabilité du professionnel sera appréciée au regard des actes qu'il aurait du effectuer s'il avait été normalement diligent, et, comme en droit commun, la faute, le préjudice et le lien de causalité entre la faute et le préjudice doivent être démontrés.

Par exemple la loi dispose que le liquidateur doit licencier les salariés dans un délai de 15 jours à compter du jugement de liquidation, et à défaut les sommes dues au salarié ne sont pas couvertes par l'AGS.

Pour autant la responsabilité du liquidateur n'est pas systématique: il ne sera par exemple pas responsable s'il ne pouvait pas connaître l'existence du salarié qui ne lui avait pas été signalé ou si le salarié demande lui même au conseil des Prud'hommes de constater la rupture du contrat de travail à une date incompatible avec la prise en charge de l'AGS, sans se soucier du fait qu'il s'exclue lui même de la garantie.

A l'inverse le liquidateur peut voir sa responsabilité engagée si, dans le cadre de licenciements, il n'effectue pas des diligences de recherche de reclassement qui auraient permis aux salariés d'avoir une chance d'être reclassés Cass com 17 février 2021 n°19-22032

Vente d'actif et revendication

- par un créancier propriétaire d'actifs vendus trop rapidement par le liquidateur, sans qu'il ait pu exercer ses droits Cass com 25 octobre 2017 n°16-22027 Cass com 26 janvier 2010 n°09-65357 ou sans notification préalable de vente de biens appartenant à des tiers Cass com 2 juin 2015 n°14-13116 ni mesures pour préserver les droits des revendiquants Cass com 25 octobre 2017 n°16-22027. L'administrateur judiciaire est responsable de la vente d'actifs dont il n'ignore pas qu'ils sont en réserve de propriété (Cass com 21 octobre 2020 n°19-15685), tant que le délai de revendication n'est pas expiré Cass com 28 juin 2017 n°15-23229 surtout sans préserver le prix Cass com 4 janvier 2000 n°96-18638. Idem pour le liquidateur qui ne signale pas dans une cession l'existence d'une action en revendication Cass com 12 novembre 2020 n°19-10419 et 19-11674

En matière de revendication il convient cependant de rapporter la preuve du préjudice, causé notamment par l'absence de réponse du mandataire Cass com 20 avril 2017 n°15-14899. Le liquidateur est cependant comptable du prix reçu du sous acquéreur Cass com 24 janvier 2018 n°16-22021 et doit prendre les mesures conservatoires adéquates Cass com 25 octobre 2017 n°16-22027

- par un créancier admis qui n'a pas été payé dans le cadre d'un plan Cass com 3 octobre 2018 n°17-14219

- par un cessionnaire évincé car le liquidateur n'a pas effectué les formalités d'agrément (amodiation) Cass com 17 septembre 2013  n°12-16209 ou par un acheteur qui prétend ne pas avoir constaté les désordres de l'immeuble acquis Cass com 12 avril 2018 n°16-28140

La responsabilité de l'administrateur judiciaire peut être recherchée en cas d'erreur sur la teneur des actifs à céder (Cass com 26 octobre 2022 n°21-13022 a contrario)

Voies de recours

- en raison de la perte d'une chance d'avoir gain de cause dans l'exercice d'une voie de recours Cass com 13 novembre 2012 n°11-21148 et Cass civ 1ère 16 janvier 2013 n°12-14439 ce qui peut être le cas du débiteur dont le liquidateur n'a pas communiqué la nouvelle adresse aux intervenants (greffe / avocat en charge d'une saisie immobilière) Cass com 14 janvier 2004 n°01-03384

Inaction / sécurité des actifs

- en raison de son inaction dans la réalisation des actifs Cass com 20 avril 2017 n°14-29505 ou de son retard qui aggrave le sort des créanciers Cass com 11 mai 1993 n°91-12622 ou encore du temps écoulé avant de solliciter l'autorisation de céder des actifs pour lesquels il avait une offre Cass com 16 octobre 2001 n°98-20566 ou de l'inaction à engager une action Cass com 9 juillet 2019 n°17-28792

Divers

De même le liquidateur ne peut être responsable :

- du paiement de frais de gardiennages des biens susceptibles d'être revendiqués Cass com 4 mai 2017 n°15-22073 Cass com 29 septembre 2015 n°13-26529

- du retard d'intervention d'un serrurier missionné pour sécuriser les actifs Cass com 22 juin 2010 n°09-14193

- de la prolongation du délai d'option pour la poursuite d'un contrat, demandée sans délai et dans des conditions explicables procéduralement Cass com 16 janvier 2019 n°17-25792 (pour un administrateur judiciaire)

- de son défaut d'acquiescement à une revendication Cass com 5 avril 2016 n°14-22733

- du défaut de résiliation du bail le temps matériel qu'une offre de reprise soit examinée Cass com 18 janvier 2017 n°15-10287 

- des conséquences de la cession d'un fonds de commerce alors que le bail était résilié Cass com 22 septembre 2021 n°19-18886

La responsabilité de l'administrateur judiciaire est pour sa part appréciée au regard de sa mission, et il ne peut être reproché à l'administrateur qui n'a qu'une mission d'assistance de n'avoir pas conservé le prix de biens sous réserve de propriété, alors qu'il avait attiré l'attention du débiteur sur la nécessité de conserver ces biens et/ou d'en payer le prix Cass com 17 octobre 2018 n°17-16346

Quelques exemples en cas de violation manifeste des règles applicables ou d'abus du droit d'agir

A l'inverse, le professionnel est responsable s'il méconnait les règles élémentaires s'appliquant à lui: par exemple un liquidateur qui assigne une société dont la liquidation au sens du droit des sociétés a été clôturée, et fait délivrer l'assignation au "gérant" de la société (qui est en réalité l'ancien gérant) méconnait les règles de représentation en justice et le fait qu'il convenait de solliciter la désignation d'un mandataire ad-hoc chargé de représenter la société.

Ce faisant il "abuse de son droit en persévérant dans une procédure manifestement irrecevable et infondée" alors qu''en sa qualité de mandataire judiciaire il ne pouvait ignorer les règles concernant la représentation en justice des sociétés dont la liquidation a été clôturée": il fait "dégénérer en abus son droit d'agir en justice" (Cass Com 25 mars 2014 p 13-13468).

De même engage sa responsabilité le professionnel qui ne respecte pas "l'obligation de prudence et de diligence" attachée à son fonction, "Mais attendu qu'en relevant que, spécialisée dans les procédures collectives, Mme X... ne pouvait ignorer que les éléments qu'elle présentait au tribunal étaient tout à fait insuffisants pour caractériser une confusion de patrimoines, l'arrêt, se plaçant sur le terrain de la comparaison avec un mandataire exerçant la même profession, apprécie la faute commise selon les règles applicables en matière délictuelle " et "n'a informé que partiellement les premiers juges sur les termes de la convention" Cass com 27 octobre 1998 n°95-13469

Le fait pour le professionnel de tronquer l'information donnée aux juges dans une action peut engager sa responsabilité (Cass com 31 janvier 2012 n°10-27262)

Voir également dans le même esprit

Cass com 14 janvier 2014 n°12-29760 dans lequel reprochait des fautes dont il n' a pas établi la réalité et avait agi avec "une légèreté blâmable", Cass com 31 janvier 2017 n°15-17287 et a contrario 15-15939 pour des abus de droit d'agir et un "acharnement procédural")

- Cass com 26 février 2020 n°18-22745 "Attendu que le liquidateur fait grief à l'arrêt de le condamner à des dommages-intérêts pour procédure abusive alors, selon le moyen, que l'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit, et ne dégénère en abus pouvant donner lieu à réparation, que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou s'il s'agit d'une erreur équipollente au dol ; qu'en retenant l'abus dans l'exercice du droit d'appel sans constater que l'appelant était animé de l'intention de nuire aux intimés, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

Mais attendu que l'arrêt relève que l'insuffisance d'actif n'est pas démontrée, que c'est M. A... P..., et non son père, qui était responsable des difficultés de la société pour avoir prélevé dans la caisse sociale des sommes importantes pour ses besoins personnels et que le liquidateur s'était même constitué partie civile contre M. A... P..., avant d'épouser, sans discernement, sa position dans un conflit familial, au mépris des faits objectivement établis et sans analyser les prétendues fautes de gestion qu'il invoquait, allant jusqu'à confier à l'avocat du dirigeant de droit, contre lequel il avait précédemment agi au plan pénal, le mandat de le représenter dans l'exercice de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif contre le père de ce dirigeant ; que par ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de retenir contre le liquidateur, ès qualités, une faute ayant fait dégénérer en abus son droit d'agir en justice" 

La Cour de Cassation considère parfois que le professionnel dont l'action a été couronnée de succès en première instance n'est pas suspect d'engager une action abusive (Cass civ 2ème 4 juin 2009 n°08-11019) , mais admet la démonstration de ce qu'une décision favorable n'est pas suffisante pour que la preuve du caractère abusif de l'action soit démontrée (Cass com 1er octobre 2013 n°12-15199

De même celui qui engage une action en responsabilité sans établir dans quelles proportions les faits invoqués ont contribué à l'insuffisance d'actif ne commet d'abus d'agir en justice Cass com 14 septembre 2022 n°21-15381  

Le niveau de compétence des professionnels, en conséquence des conditions drastiques d'accès à la profession, des formations continues, et des contrôles professionnels est très élevé et en constante amélioration, et la conséquence est une diminution significative des recherches de responsabilité et a fortiori de celles qui aboutissent.

Le tribunal compétent

Concernant la responsabilité civile professionnelle la loi dispose que la responsabilité civile délictuelle des mandataires de justice relève exclusivement de la compétence du Tribunal judiciaire (ex Tribunal de Grande Instance) (article R662-3 du code de commerce) par exemple Cass com 13 décembre 2016 n°15-10949 Cass soc 19 janvier 2022 n°19-19313

Toute autre juridiction que le Tribunal judiciaire ex Tribunal de Grande Instance est incompétente pour statuer sur la responsabilité des mandataires de justice: ainsi en aucun cas la responsabilité d'un mandataire de justice ne peut être appréciée par le Tribunal de la procédure collective ou par une autre juridiction chargée de l'examen d'un litige dépendant de la procédure collective (voir notamment Cass com 5 décembre 2018 n°17-20065 et Cass soc 17 octobre 2001 n°99-44190)

C'est toute la différence entre une action menée contre un professionnel "ès qualité" c'est à dire en qualité de représentant de l'entreprise en procédure collective, et l'action personnelle.

Par exemple la contestation de la validité d'un licenciement devant le conseil des Prud'hommes est une action menée contre le mandataire "ès qualité" : si l'action prospère, le mandataire sera condamné "ès qualité" de mandataire de l'entreprise, c'est à dire en réalité que c'est l'entreprise représentée qui est condamnée.

Si par contre il est reproché au professionnel d'avoir commis une faute dans l'accomplissement de sa mission, l'action est une action personnelle, et sera menée devant le Tribunal de Grande Instance.

Il arrive parfois qu'à l'occasion de litiges concernant un mandataire "ès qualité", c'est à dire concernant en réalité l'entreprise pour laquelle il est missionné, les parties ajoutent dans leurs conclusions des griefs visant le mandataire personnellement.

Ces griefs sont déjà irrecevables puisque le mandataire de justice n'est pas personnellement attrait à la procédure : l'assignation ne lui a pas été délivrée personnellement mais "ès qualité". Si la juridiction prend parti dans sa décision et par exemple condamne personnellement le professionnel, elle commet une erreur procédurale puisqu'elle condamne une personne qui n'est pas partie au procès et n'a pas pu s'y défendre.

Le "privilège de juridiction"

L'article 47 du code de procédure civile institue ce qu'on appelle parfois le "privilège de juridiction" qui, dans certaines conditions, permet à une partie de choisir une juridiction qui n'est pas normalement territorialement compétente. Il dispose

"Lorsqu'un magistrat ou un auxiliaire de justice est partie à un litige qui relève de la compétence d'une juridiction dans le ressort de laquelle celui-ci exerce ses fonctions, le demandeur peut saisir une juridiction située dans un ressort limitrophe.

Le défendeur ou toutes les parties en cause d'appel peuvent demander le renvoi devant une juridiction choisie dans les mêmes conditions. A peine d'irrecevabilité, la demande est présentée dès que son auteur a connaissance de la cause de renvoi. En cas de renvoi, il est procédé comme il est dit à l'article 97."

Ce texte a été jugé applicable à la responsabilité civile délictuelle des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, même s'ils ont maintenant les uns et les autres compétence nationale, et il semble donc qu'il conduise à permettre de déporter la compétence vers une juridiction devant laquelle le professionnel n'exerce pas effectivement son activité (cette interprétation étant celle retenue en principe, ce qui n'est pas nécessairement conforme à la lettre du texte qui devrait sans doute conduire à écarter l'application de l'article 47 CPC)

En tout état, l'invocation de l'article 47 CPC suppose que le professionnel soit en exercice (à défaut de quoi d'ailleurs les règles de compétence ne s'appliquent pas) Cass com 2 mars 2010 n°09-10429

Qui peut agir ?

Le paradoxe du droit des procédures collectives appliqué à l'action en responsabilité du mandataire de justice est que d'une part le débiteur est dessaisi et d'autre part le mandataire judiciaire (ou liquidateur) représente l'intérêt des créanciers: ainsi l'action en responsabilité contre le mandataire de justice ne peut être menée que ... par le mandataire judiciaire (ou le liquidateur) lui même (sauf évidemment le cas où l'action est une action qui échappe au dessaisissement du débiteur, par exemple l'action d'un associé pour un préjudice distinct Cass com 9 juillet 2019 n°17-28792)

Ainsi, et tant que la procédure collective n'est pas clôturée, il existe des obstacles évidents à une telle action, le mandataire étant généralement assez peu enclin à rechercher sa propre responsabilité;

Voir par exemple Cass com 28 juin 2016 n°14-20118 et Cass com 15 mai 2019 n°18-14284

A priori pour sortir de cette impasse, il est suggéré de solliciter la désignation d'un mandataire ad-hoc, mais cette solution ne repose sur aucun texte, et on voit mal en réalité un mandataire ad-hoc recevoir des prérogatives que la loi alloue au mandataire de justice. D'ailleurs la Cour de Cassation a condamné ces pratiques, et retenu qu'il convenait que l'action soit menée par le liquidateur, le cas échéant après reprise de la liquidation judiciaire (ce qui on l'imagine suppose que le liquidateur soit remplacé !) Cass com 10 mai 2012 n°10-28217

(l'action en responsabilité contre un liquidateur décédé suppose une déclaration de créance au passif de la succession dans les formes de l'article 792 du code civil, sous peine d'irrecevabilité Cass civ 1ère 16 janvier 2019 n°18-11916)

Mais une fois que la procédure est clôturée, l'action du débiteur rencontre elle aussi des obstacles : la Cour de Cassation considère que si l'action tend à obtenir une indemnisation dont le produit aurait vocation à être affecté aux créanciers, elle pré-suppose la reprise de la liquidation judiciaire et donc la désignation d'un liquidateur qui agira ... contre lui même ou son prédécesseur Cass com 29 mars 2023 n°21-20683.

Cette décision est a priori singulière, car il semble admissible que le débiteur sollicite l'indemnisation de la perte d'une chance de voir son passif être apuré (en l'espèce il était reproché au liquidateur de ne pas avoir préservé les actifs). 

En tout état on ne voit pas ce qui priverait les créanciers d'agir individuellement

La prescription de l'action

Au visa de l'article 2225 du code civil l'action en responsabilité contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice (ce qui est bien le cas des mandataires de justice) se prescrit par 5 ans à compter de la fin de mission du professionnel.

Cependant dans certaines situations un doute peut exister, avec l'application de l'article 2224 du code civil, qui pour sa part indique que les actions se prescrivent par 5 ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait du connaitre les faits lui permettant de l'exercer. Par exemple Cass com 14 novembre 2019 n°18-16227 mais relatif à des faits antérieurs à l'entrée en vigueur de la réforme de la prescription, mais également Cass com 7 février 2024 n°22-23288.

Peut-être faut-il distinguer entre la prescription de l'action en responsabilité intentée par les personnes représentées ou assistées par le mandataire de justice (terminologie de l'article 2225) à savoir le débiteur notamment, et les tiers pour lesquels l'article 2224 devrait s'appliquer, mais cette distinction serait contradictoire avec le fait que ces tiers, s'ils sont créanciers, sont représentées par le mandataire judiciaire. De sorte qu'en réalité le point de départ de la prescription est équivoque.

A priori il convient de rechercher le fait générateur du préjudice : s'il s'agit d'une faute dans la représentation des créanciers ou du débiteur en justice, c'est bien l'article 2225 du code civil qui s'applique, et a priori que l'action en responsabilité soit menée par la personne représentée ou par un tiers.

Si par contre le fait générateur est inhérent à l'exercice de sa mission par le mandataire, en d'autres occasions que la représentation en justice, c'est l'article 2224 du code civil qui devrait s'appliquer. Dans ce cas le point de départ peut, suivant les cas, être la date de la faute (par exemple incendie d'un bien  que le liquidateur n'a pas assuré) ou la date à laquelle ses conséquences sont révélées (par analogie avec Cass civ 1ère 11 mars 2010 n°09-12710, Cass civ 2ème 10 février 2011 n°10-11775 , Cass civ 1ère 4 juillet 2019 pour une action en responsabilité contre un notaire, en raison de la nullité d'un cautionnement, dont le délai court à compter du jugement d'annulation et pas de l'acte