Soutien abusif et responsabilité dans l'octroi de crêdit

Quelques points de la définition

Généralité

Action en soutien abusif et procédures collectives

Les règles de compétence

La répartition du produit de l'action

L'article L650-1 du code de commerce ne protège pas le banquier de l'action de la caution

Généralité

Situation dans laquelle un tiers quel qu'il soit (c'est généralement une banque, un établissement financier ou un partenaire privilégié) a accordé des soutiens, par des prêts ou tout autre facilité (par exemple le fait de ne pas recouvrer des sommes dues) dans des conditions telles que si ils n'avaient pas existé, l'état de cessation des paiements du bénéficiaire aurait été révélée.

Ces soutiens sont dits abusifs, en raison du fait qu'ils n'auraient pas du être accordés sur leur dispensateur avait été prudent (par exemple Cass com 27 mars 2012 n°10-20077), et peuvent être sanctionnés s'ils ont causé un préjudice aux créanciers : en effet si les soutiens n'avaient pas été accordés, les créanciers, ou au moins certains d'entre eux, n'aurait pas contracté avec l'entreprise qui aurait par hypothèse cessé son activité. Ils ne se trouveraient donc pas créanciers.

Action en soutien abusif et procédures collectives

L'ouverture d'une procédure collective révèle l'état de cessation des paiements, et le caractère abusif de ces soutiens (qui doit être démontré au regard de l'attitude d'un préteur normalement diligent Cass com 29 juin 2022 n°21-10715)

Les dispensateurs de soutiens abusifs peuvent être ainsi jugés responsables du préjudice qu'ils ont causé aux créanciers dont la créance est apparue postérieurement au moment où, sans ces soutiens, l'état de cessation des paiements aurait été révélé. Leur responsabilité est à hauteur de l' "augmentation de l'insuffisance d'actif" c'est à dire l'aggravation de la situation depuis les soutiens (voir par exemple Cass com 22 Janvier 2020 n°18-20362 )

Les actions menées par les mandataires de justice dans l'intérêt des créanciers, notamment contre les banques, ont parfois donné lieu à des condamnations massives.

Pour cette raison, tout au moins c'est notre explication, le loobing bancaire a obtenu en 2008 le vote d'un texte qui est devenu l'article L650-1 du code de commerce, qui rend extrêmement difficile les actions en responsabilité pour soutien abusif à la fois à l'initiative du liquidateur (ou du mandataire judiciaire, représentant les créanciers) mais également de tiers victimes directes des agissements de la banque, comme par exemple le co-emprunteur ou la caution (Cass com 17 septembre 2013 n°12-21871) puisque le texte ne distingue pas.

Le texte dispose en effet, de manière très restrictive : "les créanciers ne peuvent être tenus pour responsables des préjudices subis du fait des concours consentis, sauf les cas de fraude, d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou si les garanties prises en contrepartie de ces concours sont disproportionnées à ceux-ci."

Il sera précisé que si la juridiction soulève d'office l'application du texte, elle doit inviter les parties à s'en expliquer Cass com 9 septembre 2020 n°18-11246

(sur la notion d'immixtion voir Cass com 21 novembre 2018 n°17-21025 et sur la notion de fraude (écartée en l'espèce) Cass com 8 janvier 2020 n°18-21452

Le texte est donc relativement protecteur du dispensateur de crédit, y compris pour le crédit d'acquisition de l'entreprise, c'est à dire le crédit initial qui a été le support de la création de l'entreprise (Cass com 3 novembre 2015 n°14-10274) et 14-18433 ) ou pour un crédit de restructuration censé ne pas augmenter l'endettement et ne pas tromper les tiers ... alors précisément qu'il s'agit d'un refinancement causé par les difficultés (Cass com 9 mai 2018 n°17-10965)

Voir également sur la notion de fraude, non retenue malgré d'évidentes manoeuvres de la banque Cass com 17 janvier 2024 n°22-18090. qui a jugé "Constitue un acte frauduleux, au sens de ce texte, celui réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu, ou réalisé avec l'intention d'échapper à l'application d'une loi impérative ou prohibitive".

Le texte (article L650-1 du code de commerce) comporte cependant une faille qui ne nous semble pas avoir été totalement exploitée. A priori en effet, à la lettre du texte, ne peuvent être poursuivis, sauf dans des cas extrêmes d'immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur, de fraude ou de prise de garantie disproportionnée, que les créanciers.

La question peut donc se poser de savoir si un partenaire qui a accordé un soutien, mais qui n'est pas créancier, par exemple parce qu'il a été intégralement remboursé avant le jugement d'ouverture (le prêt ou le crédit bail mobilier ou immobilier est arrivé à échéance et intégralement payé), peut ou pas être poursuivi.

La tendance ultra protectrice pour les établissements financiers devait l'emporter, même si la lettre du texte ne l'induit absolument pas : la Cour de Cassation a donc pris le parti d'indiquer "l'article L. 650-1 du code de commerce limitant la mise en oeuvre de la responsabilité du créancier à raison des concours qu'il a consentis, sans distinguer selon que ce créancier a déclaré ou non une créance au passif du débiteur mis en procédure collective, c'est exactement que la cour d'appel a retenu que la généralité des termes de ce texte ne permettait pas d'exclure du bénéfice de son application un créancier qui ne le serait plus au jour de l'ouverture de la procédure collective du bénéficiaire des concours " Cass com 19 septembre 2018 n°17-12596

Autrement dit une banque qui n'est pas créancière ne peut pas plus être poursuivie qu'une qui l'est, au prétendu motif que le texte ne distingue pas, alors que le texte indique expressément "le créancier" !!

La notion de concours s'entend restrictivement, et notamment une garantie financière n'est pas un concours Cass com 24 mai 2018 n°17-10005 et Cass com 24 mai 2018 n°16-26387 . Enfin c'est l'octroi du soutien qui peut engager la responsabilité et pas son interruption Cass com 23 septembre 2020 n° 19-12542  et Cass com 23 septembre 2020 n°18-23221 sa diminution ou le retard à l'allouer Cass com 6 mars 2024 n°22-23647

En tout état, si l'action est menée, elle n'est pas une action sur laquelle la procédure collective exerce un influence, de telle manière que ce n'est pas le tribunal de la procédure collective qui est compétent, mais celui qui aurait été compétent, en l'absence de procédure collective, dans le cadre d'une action en responsabilité de droit commun (Cass com 12 juillet 2016 n°14-29429)

Enfin il a été jugé que le texte n'est pas applicable à l'action menée par la caution qui reproche à la banque de ne pas avoir respecté ses obligations d'information et de mise en garde (et pour l'appréciation desquelles d'ailleurs le caractère abusif ou pas du prêt est indifférent) Cass com 12 juillet 2017 n°16-10793

De même une banque qui modifie les conditions d'un prêt de consolidation même au mépris d'un accord de conciliation ne commet pas de fraude Cass com 13 décembre 2017 n°16-21498

A l'inverse un fournisseur qui accorde des facilités de paiement qui relèvent du prêt, dans des conditions qui dépassent les possibilités de remboursement du débiteur, est coupable de soutien abusif Cass com 10 janvier 2018 n°16-10824

Enfin il convient de préciser que les aides publiques ne sont pas régies par l'article L650-1 du code de commerce, et peuvent engager la responsabilité de l'Etat  "si cette aide, qui n'est pas régie par les dispositions de l'article L 650-1 du code du commerce relative à la responsabilité des créanciers soumis aux règles commerciales, a été accordée en méconnaissance des textes applicables ou qu'il est manifeste, qu'à la date de son octroi, cette aide était insusceptible de permettre la réalisation d'un objectif d'intérêt général ou que son montant était sans rapport avec la poursuite de cet objectif. Saisi d'une demande indemnitaire sur le fondement d'une aide illégale accordée à une entreprise, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice allégué par les requérants." CE 27 novembre 2020 n°417165

Règles de compétence

Voir le mot compétence

Répartition du produit de l'action

A la différence de l'action en comblement de passif pour laquelle, le produit de l'action en comblement est affecté à tous les créanciers égalitairement ( L651-2 du code de commerce qui évoque tous les créanciers et pas seulement les créanciers après paiement des créances privilégiées) sans égard pour les créances privilégiées et est la véritable répartition au marc le franc, le produit de l'action en soutien abusif est réparti comme les autres sommes figurant à l'actif de la liquidation judiciaire, suivant la règle posée par l'article L643-8 du code de commerce : c'est donc une répartition au marc le franc après paiement des créances privilégiées.

C'est une autre différence avec l'action en comblement : le banquier condamné pour soutien abusif, certes ne pourra pas compenser sa condamnation avec sa créance, mais participera aux répartitions effectuées avec les sommes qu'il a lui même versées, alors que le dirigeant condamné en comblement de passif, s'il est par ailleurs créancier, ne participe pas aux répartitions (L651-2).

En effet la répartition prévue pour l'action en comblement est expressément dérogatoire avec la répartition "de droit commun" prévue en liquidation, qui consiste à répartir au marc le franc aux créanciers chirographaires après paiement des frais de justice et des créanciers privilégiés : c'est la répartition "de droit commun, c'est à dire dans le respect des privilèges, qui s'applique aux dommages et intérêts versés par une banque dans le cadre d'une action en soutien abusif (ou d'une responsabilité pour banqueroute Cass com 11 juin 2014 n°13-12658)

Voir Cass Com 6 décembre 2011 n°10.26739 qui l'admet implicitement pour une action en soutien abusif

La relative immunité accordée au banquier vis à vis de la procédure collective ne le protège pas d'une action en responsabilité d'un caution

Cass com 20 juin 2018 n°16-27693