Successions (et liquidation judiciaire)

Les successions dans lesquelles vient le débiteur durant sa procédure collective

Jusqu'à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 12 mars 2014, les successions n'étaient pas traitées de manière particulière dans le cadre d'une procédure collective, et particulièrement d'une liquidation judiciaire de l'héritier.

Ainsi, si la succession était reçue durant la liquidation judiciaire, elle faisait partie du patrimoine appréhendé par le liquidateur, et si au contraire la succession était reçue après la clôture de la procédure elle ne pouvait  ni justifier une reprise de la liquidation judiciaire - qui ne peut être causée que par la présence de biens oubliés - ni faire l'objet de poursuites des créanciers de l'époque de la liquidation judiciaire.

Simplement, la jurisprudence avait réglé les modalités de décision  d'accepter ou pas la succession en cours de liquidation: l'option successorale appartient au débiteur seul nonobstant le dessaisissement, mais le liquidateur peut, pour le compte des créanciers, contester cette option, notamment pour éviter que l'héritier préfère refuser la succession pour que les créanciers n'en bénéficient pas.

Il en est de même de l'action en réduction de donation partage qui échappe au dessaisissement Cass com 2 mars 2022 n°20-20173

L’ordonnance du 12 mars 2014 applicable aux procédures ouvertes à compter du 1er juillet 2014 a modifié les textes applicables : les biens reçus et les droits acquis par le débiteur dans le cadre d'une succession (ce qui a priori exclue les assurances vie qui par nature sont exclues des successions cf L132-12 du code des assurances ) ouverte postérieurement à l’ouverture de la liquidation judiciaire ne sont pas réalisés par le liquidateur sauf accord du débiteur (et le partage d’indivision ne peut pas être provoqué) L641-9 IV du code de commerce et il ne peut provoquer le partage de l'indivision qui résulterait d'une telle succession. 

"Le liquidateur ne peut, sauf accord du débiteur, réaliser les biens ou droits acquis au titre d'une succession ouverte après l'ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire, ni provoquer le partage de l'indivision pouvant en résulter".

Par voie de conséquence de cette modification, les actions portant sur ces biens sont possibles post clôture (L643-11), le texte décrivant ainsi l’exception à l’absence de reprise des poursuites des créanciers :« 1° Pour les actions portant sur des biens acquis au titre d'une succession ouverte pendant la procédure de liquidation judiciaire »

Cette disposition d’opportunité, introduite par l'ordonnance de 2014, a semble‐t‐il été conçue pour accélérer les clôtures des liquidations judiciaires au motif que le traitement des successions donne généralement lieu à des contentieux et des processus relativement longs. C’est pourtant marginal, même s’il est exact que la jurisprudence considère généralement que l’option successorale échappe au dessaisissement et relève du débiteur seul, mais peut être contestée par le liquidateur …, le débiteur pouvant préférer refuser la succession pour qu’elle échappe à la liquidation.

Cette nouvelle disposition est juridiquement singulière au moins pour trois raisons :

‐ Postérieurement à la clôture de la procédure les créanciers du débiteur pourront agir sur les biens issus de la succession, sans organisation collective et on voit mal l’avantage qu’y trouvera le débiteur par rapport aux effets de la liquidation. A la réflexion il est même probable que le débiteur préfère donner son accord pour que le liquidateur appréhende les biens, sauf évidemment s’il espère que les créanciers ne reprendront pas les poursuites, tant il est vrai que l’acceptation d’une succession n’est pas un acte public, sauf si elle comporte des immeubles.

Mais surtout, au‐delà de l’inutilité probable du dispositif :

‐ La disposition a pour effet de scinder le patrimoine du débiteur, en contradiction avec toutes les règles d’unité du patrimoine : le patrimoine dans son ensemble est sous l’emprise de la liquidation judiciaire, à l’exception des biens successoraux.

‐ Sans que le texte le précise il peut également y avoir cantonnement du dessaisissement.

Concrètement le liquidateur ès qualité ne peut réaliser les biens successoraux, mais on ignore s’il en perçoit les fruits (loyers par exemple), ni s’il en a la responsabilité et les risques (assurance), ni encore s’il en a la charge (impôts fonciers pour un immeuble par exemple) ni même d’ailleurs si les créances postérieures sur ces biens bénéficieront du statut de dettes postérieures utiles à la procédure.

A priori la logique serait que les biens successoraux, que le liquidateur ne peut réaliser, échappent au dessaisissement. En effet il serait quand même paradoxal que le liquidateur en ait la charge alors que les créanciers n'en bénéficient pas ... mais dans ce cas il faudrait pour assumer cette charge que le débiteur dispose de subsides prélevés, avec l’accord du juge commissaire, sur les fonds de la liquidation pour les assumer, ce qui n’est pas dans l’esprit des subsides.

Pour autant le texte n'en dit rien et n'exclue des prérogatives du liquidateur que la réalisation : ces biens pourraient donc être néanmoins sous la responsabilité du liquidateur (mais qui en percevrait les fruits), avec le reproche potentiel des créanciers qui critiqueront l’utilisation des fonds disponibles pour leur entretien … mais à défaut le reproche inverse de ne pas avoir préservé leur gage saisissable post clôture.

Le patrimoine serait alors scindé à l’actif, mais le passif ne le serait pas.

Ainsi non seulement le texte n’amène pas de solution à ces questions, mais on peut même considérer à la réflexion qu’il amène bien des complexités, sans bénéfice réel et peut‐être même avec un coût supplémentaire : la réalisation des biens sera différée après la clôture, et les biens devront d’une manière ou d’une autre être préservés durant la procédure, avec les frais que cela impliquer sans autre utilité que l’écoulement du temps pour satisfaire au texte.

Pire encore : le texte ouvre peut‐être une possibilité pour le débiteur de réaliser les biens pendant la procédure, peut‐être sans le moindre contrôle (on voit mal sur quel fondement le juge commissaire serait saisi), et on ignore dans ce cas ce qu’il advient du prix, qui pourrait parfaitement par subrogation échapper totalement aux créanciers durant la procédure et avoir été dilapidé après sans critique possible.

Il est vrai que des questions identiques peuvent se poser pour l’immeuble insaisissable, et que les textes sont également muet, sauf pour le remploi qui, dans ce cas, y est évoqué.

Enfin le nouveau dispositif pourrait entraîner de nouveaux débats en jurisprudence : jusqu’à l’entrée en vigueur du texte, l’option successorale relevait du débiteur seul et échappait au dessaisissement, mais le liquidateur pouvait la contester (Cass Com 3 mai 2006 n° 04.10‐115 article 788 du code civil devenu 779). On peut se demander si désormais le liquidateur aura ce pouvoir puisqu’il ne peut agir sur les biens correspondants … mais d’un autre côté dès lors que les droits « directs » des créanciers sont différés jusqu’à la clôture, on peut penser que le liquidateur a qualité pour les préserver.

Ainsi la nouvelle mesure est d’une utilité marginale, et apporte de nouvelles complications.

On peut en outre relever que l'imprécision du texte et de la formulation "Pour les actions portant sur des biens acquis au titre d'une succession ouverte pendant la procédure de liquidation judiciaire »  prévue à l'article L643-11 pour la reprise des actions après clôture de la liquidation est elle même très imprécise et peut avoir plusieurs interprétations (voir le mot clôture) avec des conséquences très différentes

Pour plus détail sur cette mesure, qui n'a en réalité pas que des avantages pour le débiteur, voir le PDF de commentaire de l'ordonnance du 12 mars 2014 en page d'accueil

La liquidation judiciaire créancière d'une succession

Le droit commun (article 792 du code civil) prévoit:" Les créanciers de la succession déclarent leurs créances en notifiant leur titre au domicile élu de la succession. Ils sont payés dans les conditions prévues à l'article 796. Les créances dont le montant n'est pas encore définitivement fixé sont déclarées à titre provisionnel sur la base d'une évaluation.

Faute de déclaration dans un délai de quinze mois à compter de la publicité prévue à l'article 788, les créances non assorties de sûretés sur les biens de la succession sont éteintes à l'égard de celle-ci. Cette disposition bénéficie également aux cautions et coobligés, ainsi qu'aux personnes ayant consenti une garantie autonome portant sur la créance ainsi éteinte."

L'obligation de déclarer créance s'impose au liquidateur de la société en liquidation judiciaire, créancière d'un débiteur entretemps décédé Cass civ 1ère 22 Mars 2017 n°15-25545

Le dessaisissement et l'option successorale

Voir le mot dessaisissement

L'exemple des succession démontre à quel point la question de la portée du dessaisissement est complexe, et réglée au coup par coup: la Cour de Cassation considère que le débiteur peut opter seul sur une succession ... mais que le liquidateur peut contester ce choix ( surtout s'il s'agit de refuser la succession) notamment par l'action paulienne en cas de renonciation frauduleuse, ce qui a pour effet de rendre la renonciation inopposable à la liquidation Cass Civ 1ère 22 janvier 2020 n°19-12492

Par contre c'est le liquidateur qui intervient à l'acte de partage (Cass com 13 janvier 2015 n°13-12590)

La cour de cassation a en outre précisé (Cass com 21 novembre 2018 n°17-12761 et 17-17559) que si au jour du jugement d'ouverture de la procédure une instance est en cours relativement aux opérations de comptes, liquidation et partage d'une succession dans laquelle le débiteur a des droits:

- le débiteur dispose d'un droit propre de défendre seul

- cette instance n'est pas une instance en cours au sens du droit des procédures collectives

- l'éventuelle soulte due par le débiteur n'a pas à être déclarée au passif

- le liquidateur doit cependant être mis en cause dès lors que l'instance a une incidence patrimoniale et que le jugement obtenu le cas échéant sans son intervention peut être régularisé s'il devient partie en cause d'appel