Arrêt ou suspension des poursuites en cours et interdiction de nouvelle action et voie d'exécution contre le débiteur (et précisions sur les actions contre les tiers)

Quelques points de la définition

L'arrêt des poursuites individuelles et des voies d'exécution et l'interdiction d'action nouvelle contre le débiteur par l'effet du jugement d'ouverture

Le principe d'arrêt et d'interdiction 

La durée de l'interdiction

Les actions nouvelles contre le débiteur: impossibles pour des créances antérieures

Les actions en cours contre le débiteur: reprises après déclaration de créance aux fins de fixation de la créance au passif

Les voies d'exécution

Les actions contre le débiteur qui peuvent être poursuivies et/ou introduites après le jugement d'ouverture

Les actions qui ne sont pas interrompues: actions qui ne tendent pas au paiement ou ne sont pas fondées sur le défaut de paiement

Le cas particulier des actions en résolution ou annulation de contrat

Les actions fondées sur des sûretés réelles

Les actions qui ne sont pas interdites: actions des créanciers postérieurs

La possible reprise des poursuites dans certains cas : instances en cours pour fixation de créance et après clôture de la liquidation judiciaire

Les actions contre les tiers

L'arrêt des poursuites "individuelles" et des voies d'exécution contre le débiteur, par l'effet du jugement d'ouverture

La procédure civile organise l'interruption des instances en cours en raison de l'ouverture d'une procédure collective. Cette interruption frappe toutes les instances

Le droit des procédures collectives pour sa part organise l'interruption et la reprise des instances en cours tendant au paiement ou sanctionnant le défaut de paiement.

Concernant les actions nouvelles en paiement ou en résolution pour défaut de paiement elles sont interdites et frappées par l'arrêt des poursuites.

Le principe: interdiction des actions nouvelles en paiement ou en résolution du contrat pour défaut de paiement

Pour que la procédure fonctionne, il convient que les créanciers ne puissent pas exiger d'être payés, à défaut de quoi la procédure perdrait son caractère collectif et le traitement des créanciers ne serait plus égalitaire.

L'article L622-21 du code de commerce dispose "I.-Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622-17 et tendant : 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; 2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent. II.-Il arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture. III.-Les délais impartis à peine de déchéance ou de résolution des droits sont en conséquence interrompus."

Le principe est que le jugement d'ouverture de la procédure collective interdit les poursuites des créanciers.

La Cour de cassation érige ce principe en principe d'ordre public. 

L'impossibilité d'exercer l'action en paiement constitue une fin de non recevoir qui s'impose au juge qui doit la relever d'office Cass com 1er juillet 2020 n°19-11658 et la Cour de Cassation précise que ce principe est d'ordre public international Cass civ 1ère 6 Mai 2009 n°08-10281. Le juge doit soulever d'office le moyen, y compris s'il est invoqué par le débiteur seul, sans le concours de son liquidateur et donc de manière irrecevable Cass com 9 décembre 2020 n°19-17462 

La durée de l'arrêt des poursuites

Les poursuites sont interdites :

- durant la période d'observation : que ce soit en sauvegarde (L622-21) ou en redressement judiciaire (L631-14 qui renvoie à L622-21) l'arrêt des actions individuelles des créanciers tendant au paiement de somme d'argent s'impose, ainsi que les actions en résiliation fondées sur le défaut de paiement "l'action en résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent à son échéance est une action fondée sur le défaut de paiement d'une somme d'argent au sens de l'article L. 622-21 du code de commerce" (Cass com 15 novembre 2016 n°14-25767)

(pour les procédures ouvertes à compter du 1er octobre 2021, le nouvel article L622-21 ajoute d'autres interdictions, d'accroissement de l'assiette des suretés)

- en liquidation judiciaire (L641-3 et L641-4 qui renvoient à L622-21) et la clôture de la procédure ne fait recouvrer aux créanciers leurs droit d'agir que dans des conditions restrictives (voir le mot "clôture").

- postérieurement à l'adoption d'un plan de sauvegarde ou de redressement, l'arrêt des poursuites perdure (par exemple Cass com 29 avril 2014 p 12-24628, Cass com 18 octobre 2023 n°21-14513) pendant toute la durée du plan Cass soc 10 mai 2006 n°04-42076" les sommes dues par l'employeur en exécution du contrat de travail antérieurement au jugement ouvrant la procédure de redressement judiciaire restent soumises, même après l'adoption d'un plan de redressement, qu'il soit par cession ou par continuation, au régime de la procédure collective" , Cass com 29 avril 2014 n°12-24628 "la décision arrêtant le plan de redressement ne met pas fin à la suspension des poursuites individuelles"

C'est le pendant du monopole d'action du mandataire judiciaire ou du liquidateur (voir le mot monopole)

Un cas singulier a donné lieu en ce sens à une décision de la Cour de Cassation: des salariés sont licenciés dans le cadre d'une liquidation judiciaire. Par ailleurs la société holding qui détenait le capital de la société employeur fait l'objet d'un redressement judiciaire suivi d'un plan. Postérieurement à l'adoption du plan, les anciens salariés saisissent le conseil des prud'hommes aux fin d'obtenir des dommages intérêts notamment liés au préjudice découlant de la perte de leur emploi. Ces dommages et intérêts sont effectivement accordés par la Cour d'appel et la décision est cassée sur le moyen que le principe de créance contre la holding ne découlait pas d'un contrat de travail mais relevait exclusivement d'une demande indemnitaire pour une créance dont le fondement était antérieur au jugement d'ouverture de la procédure et donc soumis à déclaration de créance et interdiction des poursuites Cass soc 24 mai 2018 n° 17-15630 

Voir également l'inopposabilité de la créance non déclarée.

Actions nouvelles contre le débiteur: les actions qui tendent au paiement d'une créance antérieure ou à la résolution pour défaut de paiement sont "interdites"

Par principe à partir du moment où une procédure collective est ouverte, les créanciers antérieurs ne peuvent plus poursuivre leur débiteur en paiement d'une somme d'argent (ils peuvent par contre sous certaines conditions poursuivre des tiers ou les cautions) ou en résolution du contrat pour défaut de paiement.

L'appel en garantie est tout aussi exclu que l'action en paiement Cass civ 3ème 27 février 2020 n°19-10887 ainsi que la demande reconventionnelle en paiement formulée par le créancier postérieurement au jugement d'ouverture dans le cadre d'une instance initiée avant par le débiteur Cass Com 28 septembre 2004 n°03-12967 , Cass com 25 octobre 2023 n°22-12983

Il en est de même d'une demande de paiement formulée devant un arbitre Cass com 8 février 2023 n°21-15771

Il en est ainsi y compris pour les créances ayant une connotation personnelle (par exemple préjudice moral subi par l'épouse Cass civ 1ère 7 juin 2006 n°04-15608 ou l'action par laquelle l'ex épouse appelle son ex conjoint en procédure collective à la garantir des sommes dues au titres des emprunts qu'ils avaient contractés, cette action, bien que dénommée action en garantie, étant bien soumise à l'interdiction des poursuites Cass com 29 mai 2019 n°16-26989. Il en est de même d'une action en responsabilité délictuelle menée par le salarié d'une filiale Cass soc 2 février 2022 n°20-17202

Ces créanciers doivent effectuer une déclaration de créance, attendre l’issue de la vérification des créances, et suivant les cas les propositions de plan qui leur seront faites (en sauvegarde ou redressement judiciaire) ou les répartitions (en liquidation).

"Attendu qu'en l'absence d'instance en cours à la date du jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire du débiteur, le créancier, après avoir déclaré sa créance, ne peut en faire constater le principe et fixer le montant qu'en suivant la procédure de vérification des créances " Cass com 17 février 2015 n°13-27117

Il en est de même d'un créancier qui n'a pas été invité à déclarer créance à la suite d'un comportement estimé frauduleux du débiteur qui n'a pas signalé sa créance au mandataire judiciaire Cass com 6 juin 2018 n°16-23996

Le pendant de la suspension des poursuites est le monopole d'action conféré aux mandataires de justice (voir le mot "monopole d'action".)

Le principe s'applique également aux créances salariales qui n'ont pourtant pas à être déclarées au passif Cass com 30 juin 2021 n°20-15690. Cette solution est assez surprenante car les salariés bénéficient généralement d'un traitement dérogatoire mais il est vrai que le texte ne distingue pas. Ceci étant l'article L625-1 du code de commerce permet au salarié dont les créances ne figurent pas sur les relevés de créances salariales de saisir le conseil des Prud'hommes avec une forclusion assez fantomatique.

Actions en cours contre le débiteur tendant au paiement d'une somme d'argent: suspension puis reprise après déclaration de créance aux fins de fixation de la créance

Les actions en cours au jour du jugement d'ouverture sont poursuivies après que le créancier ait déclaré créance, et tendent à la fixation de la créance au passif (voir le mot instance en cours)

(par exemple pour un salarié Cass soc 21 novembre 2018 n°17-27091)

La délimitation de l'état d'avancement de l'action est donc déterminante.

La jurisprudence a précisé la notion d'instance en cours.: (pour plus de précisions voir ce mot) il s'agit d'une instance au fond tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.

Les voies d'exécution

Voir le mot saisie et voie d'exécution qui détaille le processus, y compris pour les séquestres, consignations  ordres, distribution ...

Les voies d'exécution sont arrêtées à la différence des actions en paiement qui sont suspendues

Les actions qui poursuivent leur cours et/ou qui peuvent être introduites postérieurement au jugement d'ouverture:

les actions qui ne tendent pas au paiement ou ne sont pas fondées sur le défaut de paiement

L'arrêt des poursuites ne s'impose qu'aux actions en paiement, et est sans conséquence pour les actions tendant à la constatation du montant d'une créance, à la résolution ou la résiliation d'une convention pour d'autres causes que le défaut de paiement (par exemple annulation d'un contrat sur le fondement du code de la consommation Cass com 3 février 2021 n°19-13434. Mais il n'est pas possible, sous couvert de reprocher par exemple un défaut de respect des obligations du contrat - en l'espèce un retard systématique de paiement des loyers - de mener une action qui est en réalité une action en résolution pour défaut de paiement Cass com 15 novembre 2016 n°14-25767

L'arrêt des poursuites ne s'applique pas non plus aux actions qui découlent du respect d'une obligation légale, comme par exemple le versement par l'ancien syndic de copropriété en liquidation judiciaire des fonds détenus au nouveau syndic et la remise des documents de la copropriété Cass com 20 mars 2019 n°17-22417. Cette décision peut être vue comme singulière dès lors qu'en réalité elle tend à la remise d'une somme d'argent et devrait peut-être à ce titre subir la suspension des poursuites, mais en réalité elle est logique tenant le fait que les fonds de la copropriété figurent sur un compte à affectation spéciale.

L'action en nullité sur le fondement des dispositions du code de la consommation, qui ne tend pas au paiement, n'est pas frappée par l'arrêt des poursuites Cass com 3 février 2021 n°19-14417 ni l'action en rupture d'un contrat d'agent commercial pour faute grave Cass com 13 avril 2022 n°20-18175 ou l'action en résolution pour inexécution d'une obligation Cass com 15 juin 2022 n°21-10802 21-12358 ni même une action en restitution entreprise avant le jugement d'ouverture, qui se poursuit donc Cass com 9 juin 2022 n°21-10309

Ces différentes actions subissent simplement l'interruption prévue par le Code de Procédure civile et seront reprises une fois les formalités accomplies.

Le cas particulier des actions en résolution ou annulation d'un contrat, et des dommages et intérêts consécutifs, et de la créance de restitution du prix

Par principe les actions en résolution pour inexécution d'une convention ne sont pas interrompues et peuvent également être engagées après le jugement. Voir le mot résolution qui détaille les particularités de ces actions et des créances consécutives.

Les actions fondées sur les sûretés réelles

L'entreprise qui a constitué une sûreté réelle au profit d'un créancier d'un tiers n'est pas personnellement débiteur de ce créancier, et seul le bien donné en garanti est engagé. Partant, le créancier peut saisir le bien, nonobstant la procédure collective de son propriétaire "Par conséquent, il peut poursuivre ou engager une procédure de saisie immobilière contre le constituant, après avoir mis en cause l'administrateur et le représentant des créanciers." Cass com 25 novembre 2020 n°19-11525

Les actions des créanciers postérieurs ne sont pas interdites

Voir le mot créances postérieures qui détaille le processus et les modalités des actions.

La possible reprise des poursuites

- Les instances en cours qui tendent au paiement déjà initiées au jour du jugement sont reprises après déclaration de créance et tendent à la fixation de la créance: l'action en paiement devient une action en fixation de la créance

- La clôture de la procédure pour insuffisance d'actif ne fait recouvrer aux créanciers leurs droit d'agir que dans des conditions restrictives (voir le mot "clôture").

L'absence de suspension des poursuites contre les tiers dans certains cas ... sauf si l'action relève de la reconstitution du gage des créanciers: le monopole d'action du mandataire judiciaire et du liquidateur

La suspension des poursuites contre le débiteur n'affecte pas certaines actions contre les tiers (garants, assureurs) voire même dirigeant Cass com 29 mars 2023 n°21-21005 Cass com 14 juin 2023 n°21-21330

Ce sont les limites du monopole  monopole d'action des mandataires de justice ( mandataire judiciaire ou liquidateur suivant les cas) qui détermineront les possibilités d'action

Pour plus de précision sur ces délimitations et les actions possibles voir le monopole d'action