Vérification des créances salariales
Quelques points de la définition
la vérification des créances salariales
les sources d'information: pas de déclaration de créance
établissement des relevés de créances salariales
Le refus de porter un demandeur dont le mandataire judiciaire estime qu'il n'est pas salarié
la publicité des relevés de créances salariales
Les instances en cours devant le conseil des prud'hommes échappent à la vérification
les contestations des tiers des relevés de créances salariales
Le paiement des créances salariales (issues ou pas de condamnation prud'homale)
Généralités
La loi considère depuis longtemps que le salarié ne peut être traité comme un créancier ordinaire. En effet en principe un fournisseur aura plusieurs clients, et le fait que l'un ne le paye pas ne le privera pas des recettes provenant des autres. Le salarié, pour sa part, tire généralement la totalité de ses ressources de son salaire.
Pour cette raison la loi avait dans un premier temps institué des privilèges (voir ce mot) pour garantir le paiement des créances des salariés ((voir notamment le mot "superprivilège")
Mais il est apparu que même avec un paiement privilégié, les salariés n'étaient pas intégralement payés, d'une part en raison de l'insuffisance d'actif et d'autre part en raison parfois de privilèges d'autres créanciers qui venaient en meilleur rang.
En outre dans tous les cas, même privilégiés, les salariés devaient attendre que le "liquidateur" dispose des sommes nécessaires pour leur payer même un acompte, ce qui supposait qu'il ait pu vendre des actifs.
Pour cette raison et pour améliorer le sort des salariés, en 1973 a été instituée une cotisation patronale dite FNGS (Fonds National de Garantie des Salaires) qui alimente un fonds, l'AGS ..
D'une part les créances salariales découlant de l'exécution et la rupture des contrats de travail sont vérifiées, suivant une procédure spécifique, et d'autre part les instances en cours sont poursuivies, suivant une procédure également spécifique
La vérification des créances salariales
Le traitement particulier des créances salariales a pour conséquence que les fonds disponibles dans la procédure collective doivent être affectés en priorité au règlement des salaires en cours de période d'observation.
En outre le rang de certaines créances salariales d'une part leur donne une priorité sur la plupart des autres créanciers et d'autre part sous certaines conditions donne accès aux avances de l'AGS.
Les texte organisent pour ces raisons une véritable procédure de vérification des créances, avec des délais spécifiques tenant l'urgence qui caractérise généralement le traitement de ces créances. Ces délais sont fixés, par catégorie de créance, par l'article L3253-19 du code du travail
La source d'information de la vérification des créances salariales: les salariés, le débiteur et le cas échéant l'administrateur judiciaire
Etablissement du relevé de créances salariale
L'article R625-1 du code de commerce prévoit que le mandataire judiciaire effectue la vérification des créances salariales avec le concours du débiteur.
Plus précisément l'article R625-1 prévoit que le mandataire judiciaire centralise les informations reçues le cas échéant de l'administrateur judiciaire, des salariés, du débiteur (qui notamment tient à disposition le livre d'entrée et sortie du personnel et le livre de paye) et le cas échéant du représentant des salariés.
On remarque ici qu'il n'y a donc pas de déclaration de créance au sens strict du terme.
En toute circonstance, et même si les autres créances ne sont pas toutes vérifiées (voir la vérification des créances et ses dispenses), les créances salariales sont toujours vérifiées (article L644-3 et R625-1)
Ce texte est complété par les articles R625-1 et suivants du code de commerce qui précisent le contenu du relevé de créances salariales
Une fois le ou les relevés de créances salariales établis par le mandataire judiciaire, ils sont le cas échéant visés par le représentant des salariés (R625-1 et L625-2) et soumis au visa du juge commissaire (R625-1 et L625-1)
Le refus par le mandataire judiciaire de mentionner un interlocuteur qu'il estime ne pas être salarié
En tout état, et dès lors que l'établissement du relevé de créance salariale relève du mandataire judiciaire, c'est à cette occasion que ce dernier pourra refuser d'y porter un interlocuteur dont il estime qu'il n'est pas salarié.
Délai d'établissement
L'article L625-1 vise plusieurs délais, par renvoi au code du travail. Le premier est de 10 jours du jugement d'ouverture pour les créances superprivilégiées. Le second est de 3 mois pour les autres créances. Un troisième délai est de 10 jours de l'expiration des périodes de garanties pour les créances issues de la période d'observation (jugement arrêtant le plan ...).
Visa du relevé de créances salariales par le juge commissaire
L'article L625-1 du code de commerce organise l'établissement, le visa par le juge commissaire (R625-1)
Les mêmes textes organisent la publicité de l'état des créances salariales.
Le juge commissaire contrôle le règlement des créances salariales, qui doit être autorisé par lui, même sans recours à l'AGS (Cass com 3 mai 2016 n°14-24855), mais en réalité le visa du juge commissaire n'est que la marque que la formalité d'établissement des relevés de créances salariales a été accomplie, puisque les éventuelles contestations relèvent du conseil des prud'hommes
En réalité, en outre, le recours à l'ordonnance du juge commissaire n'est pas usité pour les salaires payés sur les fonds de la procédure, l'article R625-1 précisant que les relevés sont adressés par le mandataire judiciaire à l'AGS, ce qui laisse penser que si l'AGS n'est pas sollicitée le relevé est inutile. -
Publicité du relevé de créances salariales
Le relevé est en effet déposé au greffe et fait l'objet d'une publicité L625-1
Plus précisément d'une part le mandataire judiciaire
- informe "par tout moyen" chaque salarié de la nature et du montant des créances admises ou rejetées (R625-3)
- précise à chaque salarié la date de dépôt au greffe du relevé de créances salariales
- lui rappelle qu'un délai de forclusion court à compter de la publication du relevé
L'article R625-3 alinéa 3 organise cette publication: quand l'ensemble des relevés de créances salariales sont déposés au greffe, est établie une publication par le mandataire judiciaire dans un journal d'annonces légales du ressort dans les trois mois de l'expiration des périodes de garanties . C'est cet avis qui fait courir le délai de forclusion
Concrètement cette publication est sans effet pour les salariés qui ne sont pas avertis et est donc inefficace puisque précisément si une créance salariale a été omise c'est en principe que le salarié n'est pas connu au moment de l'établissement des relevés: pour ces raisons, et outre le fait qu'ils disposent rarement de fonds pour les financer, les mandataires judiciaire n'effectuent en principe pas ces publications inutiles puisque sans effet de forclusion vis à vis des salariés inconnus.
Le délai de contestation du relevé de créances salariales par les salariés dont la créance est omise totalement ou partiellement
A ce sujet l'article L625-1 dispose que le salarié dont la créance ne figure pas en tout ou partie sur le relevé de créances salariales doit saisir le conseil des prud'hommes (directement le bureau de jugement, il n'y a pas de conciliation cf article L 625-5), à peine de forclusion, dans les 2 mois de la publicité dans un journal d'annonces légales (la saisine du conseil des prud'hommes hors délai est considérée comme emportant demande de relevé de forclusion (qui relève donc du conseil des prud'hommes) Cass soc 26 mars 2003 n°01-41747
(très singulièrement la Cour de Cassation a admis que le salarié peut être relevé de cette forclusion par le conseil des prud'hommes, au visa de l'article L622-26 qui organise le relevé de forclusion de droit commun (et dans ce délai) Cass soc 24 janvier 2018 n°16-16503) (et donc pas par le juge commissaire).
La forclusion est toute relative, à la différence de celle existant pour les créances non salariales: en l'espèce la forclusion n'est opposable qu'au salarié prévenu par le mandataire judiciaire du dépôt du relevé de créances salariales et de sa publication (cass soc 8 janvier 2002 n°99-41520 Cass soc 25 juin 2002 n°00-44704 Cass soc 4 février 2006 n°03-47937) et notamment du montant et de la nature des créances admises ou rejetées Cass soc 22 mars 2023 n°21-14604
De même la forclusion suppose que le mandataire judiciaire ait déposé le relevé dans le délai légal (Cass soc 8 Janvier 2002 n°99-41520)
La "relevé de forclusion" semble enfermé dans le délai de droit commun (voir relevé de forclusion) même si le salarié n'a pas été averti personnellement (Cass soc 7 novembre 1995 n°94-41593 , Cass soc 26 novembre 1995 n°95-44929 Cass soc 4 février 1998 n°95-44850 )ce qui peut sembler contradictoire avec la position souple de la Cour de Cassation.
Le possible refus de l'AGS de payer un relevé de créance salariale
Une fois le relevé des créances salariales établi il est le cas échéant transmis à l'AGS pour paiement.
En liquidation judiciaire les créances peuvent également être payées si leur rang et la trésorerie de l'entreprise le permettent. En redressement judiciaire les créances non prises en charge par l'AGS seront payées dans le cadre du plan (c'est à dire au moment de l'adoption du plan pour les créances superprivilégiées et privilégiées et comme les autres créanciers pour les créances chirographaires).
En tout état les salariés bénéficient d'un régime dérogatoire, notamment au regard de l'interdiction de paiement des dettes antérieures (voir ce mot)
voir le mot AGS
les instances en cours devant le conseil des prud'hommes : le cas particulier des créances salariales dont l'origine est antérieure au jugement d'ouverture mais la liquidation postérieure à l'ouverture de la procédure, voire à l'adoption d'un plan de redressement ou sauvegarde:
Les instances prud'homales échappent au traitement des instances concernant les autres créances non salariales Cass soc 17 septembre 2003 n°01-41255 et Cass soc 28 février 2018 n°15-24856, ce qui a pour effet que le mandataire de justice qui a obligation de prévenir les salariés et le conseil des Prud'hommes de l'ouverture de la procédure collective dans les 10 jours ne pourrait se prévaloir de l'inopposabilité de la décision rendue par le conseil des prud'hommes qu'il n'aurait pas averti (cette décision est parfaitement critiquable)
Le cas particulier du salarié qui a engagé une instance prud'homale avant l'ouverture de la procédure collective mais dont les créances sont fixées après l'ouverture de la procédure voire l'adoption d'un plan se présente parfois. Les instances en cours font l'objet d'un traitement particulier, qui échappe à la vérification des créances salariales.
L'article R625.5 prévoit que le débiteur informe les mandataires de justice de l'existence des instances en cours, et l'article L625-3 précise que ces instances sont poursuivies (ce qui signifie donc qu'elles ne sont ni suspendues ni interrompues) après que les mandataires de justice aient été appelés, étant précisé que le mandataire judiciaire doit avertir le conseil des prud'hommes de l'ouverture de la procédure, sur la base des informations remises par le débiteur (et s'il ne le fait pas il ne pourra se prévaloir de l'inopposabilité de la décision Cass soc 17 sept 2003 n°01-41255 Cass soc 24 juin 2008 n°07-41972
Nonobstant l'article L625-3 du code de commerce qui dispose "Les instances en cours devant la juridiction prud'homale à la date du jugement d'ouverture sont poursuivies en présence du mandataire judiciaire et de l'administrateur lorsqu'il a une mission d'assistance ou ceux-ci dûment appelés. Le mandataire judiciaire informe dans les dix jours la juridiction saisie et les salariés parties à l'instance de l'ouverture de la procédure." la Cour de Cassation considère que ces instances "ne sont ni suspendues, ni interrompues, et que le représentant des créanciers (mandataire judiciaire) qui n'a pas informé de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire les salariés et la juridiction saisie, ne peut valablement se prévaloir d'une inopposabilité de la décision rendue" (Cass soc 8 juin 2016 n°13-23811). Ainsi le mandataire judiciaire qui n'est pas informé de l'instance en cours en subira les suites.
L'AGS sera également appelé à l'instance par voie d'assignation en intervention forcée (sauf en sauvegarde puisqu'elle ne doit pas garantie) ce qui aura pour effet de lui rendre la décision opposable (R631-33 du code de commerce).
Il appartient au greffe du conseil des prud'hommes d'appeler les mandataires de justice Cass soc 9 mars 2011 n°09-67312 c'est à dire le mandataire judiciaire et l'administrateur (en redressement judiciaire et pas en sauvegarde). (l'AGS ne peut être mise hors de cause si le débiteur a bénéficié d'un plan, dès lors que la créance était due à la date de l'ouverture de la procédure Cass Soc 26 avril 2007 n°05-45215, même si en réalité l'entreprise qui bénéficie d'un plan ne parviendra pas à obtenir le paiement par l'AGS)
La mise en cause est une condition de régularité de la procédure.
"5. Selon l'article L. 625-3 du code de commerce, les instances en cours devant la juridiction prud'homale, à la date du jugement d'ouverture, sont poursuivies en présence du mandataire judiciaire et de l'administrateur, lorsqu'ils ont une mission d'assistance, ou ceux-ci dûment appelés.
6. Il en résulte que les dispositions de l'article 369 du code de procédure civile ne sont pas applicables à ces instances." Cass soc 4 septembre 2024 n°23-13918
L'instance conduira à la fixation de la créance du salarié et non pas à la condamnation à payer (même si la demande de condamnation est maintenue Cass soc 10 novembre 2021 n°20-14529) : le but est de fixer la sommes qui sera mentionnée sur l'état des créances : Cass soc 4 juillet 2012 n°11.12573 Cass soc 27 octobre 1998 n°95-44146 Cass soc 12 février 2003 n°99-42985
Comme pour les autres instances en cours, la créance échappe au processus de vérification des créances salariales, puisqu'elle est fixée judiciairement Cass soc 10 décembre 1996 n°95-40585 et aucune forclusion n'est donc opposable au salarié Cass soc 16 mars 1999 n°96-42850 même si l'instance avait été radiée puis reprise après le jugement d'ouverture Cass soc 14 mai 2003 n°01-40110
La Cour de cassation juge que ces créances restent régies par les règles de la procédure collective, de sorte que la juridiction ne peut condamner l'entreprise à payer, mais uniquement arrêter la somme à inscrire au passif. Cass soc 3 décembre 2014 n°13-24379) .
Pour le paiement de ces créances voir plus bas
Les relevés des créances salariales et le décisions rendues en suite des instances en cours sont portés sur l'état des créances
C'est l'article L625-6 qui prévoit ce traitement, pour que l'état des créances constitue un ensemble du passif.
Les contestations des tiers
L'article L625-6 du code de commerce précise que les personnes intéressées à l'exception des personnes mentionnées dans le processus de vérification des créances salariales (débiteur, mandataire judiciaire, administrateur judiciaire, représentant des salariés, salarié pour sa propre créance, qui ne semblent pas avoir de recours) peut former une réclamation contre la mention sur l'état des créances des relevés de créances salariales. L'article R625-7 précise que le délai de réclamation est d'un mois
(on peut s'étonner que le recours des tiers ne coure pas à compter du dépôt au greffe du relevé de créances salariales, car bien souvent entretemps l'AGS aura payé la créance, mais il ne faut pas oublier que contrairement à ce que la pratique a tendance à considéré le relevé de créance salariale est le constat de l'existence d'une créance d'un salarié et n'est pas un "relevé d'AGS".
Contestation par l'AGS
Voir AGS